« D’autres prendront nos places » de Pierre Noirclerc : « C’est peut-être ça, ce mélange de désir et de frustration, qui vous garde en vie. »


« D’autres prendront nos places » de Pierre Noirclerc est le lauréat d’un concours littéraire du site WeLoveWords,en partenariat avec les éditions Flammarion sur le thème de la comédie romantique « mauvais genre ».


Inauguration du Labo numérique par Bertrand Delanoé, le 07/12/2011, qui découvre le livre de Pierre Noirclerc à cette occasion

Dans son roman « corrosif, sensible et sentimental« , ce parisien d’une vingtaine d’années ayant participé un peu par hasard au concours, trace « le portrait de la génération Y -née entre 1980 et 1999 et adeptes d’Internet- engluée dans la précarité et l’impossibilité de rêver » -, nous dit la 4e de couv’.

« Partout où j’étais passé, partout où j’avais vécu, je ne m’étais jamais vraiment senti à ma place. Mon pays m’était toujours apparu sous un aspect guère plus entraînant que celui d’un vulgaire Campanile, un endroit de passage destiné à des personnes moyennes et dépassionnées. J’ignorais combien de temps durerait le séjour. »

On est donc assez loin des codes de la comédie romantique même si le roman relate, en partie, les aventures (et déboires) sentimentaux du anti-héros. Le livre s’apparente plutôt à la famille des livres trentenaires ou encore générationnels, de Djian à Houellebecq (auquel l’auteur a déjà été comparé, ce qui n’est pas un moindre compliment !), en passant par Pierre Mérot (« Mammifères »), Guillaume Tavard (« Le petit grain de café argenté »), ou encore Guillaume Clémentine (« Le petit malheureux »)… : les losers urbains modernes, anti-héros sensibles et plutôt nihilistes, le tout mâtiné d’un certain cynisme.
On pense aussi au fameux personnage de la série « Bref », devenu emblématique du style.

Dans la droite lignée de ses prédécesseurs, Pierre Noirclerc nous raconte donc l’histoire d’un jeune diplômé de Province qui « monte » à Paris, en quête d’un avenir professionnel et sentimental plus reluisants. Sous forme de courts chapitres, il retrace son itinéraire depuis la recherche d’un appart’ (chambre de bonne) jusqu’à celle d’un boulot (et demande de RSA) et d’un peu de compagnie féminine… Entre précarité sociale (à la limite de la clochardisation), déclassement et déboires sentimentaux…

Oui c’est vu et revu : on sait bien que c’est dur de trouver du boulot même quand on a un bon diplôme et que Pôle Emploi n’y peut pas grand chose, on sait bien que l’épanouissement ce n’est pas la vie en entreprise et que l’exploitation continue de sévir un peu partout.


Pierre Noirclerc aux côtés de son éditeur Guillaume Robert

Malgré tout Noirclerc parvient à revisiter le genre grâce à sa plume caustique : en quelques phrases minimalistes presque brutales parfois (dont on trouvera de nombreuses citations d’ores et déjà sur la toile, en voie de devenir cultes), il saisit une ambiance, un personnage ou encore un problème de société, mais aussi ses états d’âme, avec toujours cette pointe de dérision qui se transforme parfois en franc burlesque : « (…) j’étais allé en mairie pour remplir un formulaire. On m’avait mis en relation avec une assistante sociale qui serait chargée d’évaluer mon éligibilité, à savoir : est-ce que je mérite de toucher le pognon du contribuable. » ; « J’ai repris le métro. La rame était bondée. On était les uns sur les autres, on se respirait les aisselles et pourtant on ne s’aimait même pas »

C’est en effet sur l’humour que le jeune auteur se démarque avec quelques scènes très réussies où l’on rit franchement (comme sa rencontre avec Wanda, nympho de banlieue parisienne ou encore son entretien de contrôleur de gestion pour une boîte de production un peu spéciale…).
Les passages sur le monde du travail font aussi preuve d’un cynisme bien senti : « Le travail faisait son œuvre : il agissait comme une douce anesthésie, s’insinuait dans l’âme pour en polir les contours et en éradiquer les aspérités. Les envies et les passions flétrissaient pour laisser place à une terre aride et infertile, irrécupérable. Elle savait qu’après quelques mois elle ne serait plus la même. Toute son existence serait organisée autour du travail ; sa personnalité en serait même affectée : elle en adopterait les attitudes, le langage ; même son apparence physique évoluerait : elle prendrait du poids – c’était nécessaire puisqu’il fallait bien déjeuner tous les midis au restaurant avec les collègues ; et les vêtements qu’elle achèterait seraient ceux qui permettraient de l’identifier comme une jeune avocate prometteuse. Finalement, se disait-elle, le conformisme agissait sur son libre arbitre de la même manière qu’un couteau qu’on lui aurait placé sous la gorge. » (page 186, à propos de sa petite amie Chloé.)

« J’avais avant tout besoin d’utiliser mes capacités intellectuelles, j’avais parfaitement intégré le fait que celles-ci ne garantissaient nullement la survie matérielle dans ce pays ; et que pour obtenir un revenu il était avant tout question d’avilissement et de dévotion. »

Génération Y oblige, Internet tient un rôle central comme outil surtout, tant de recherche de travail que de l’âme soeur.
Il évoque aussi la tentation de l’alcoolisme qui n’a ici rien de joyeux même si on est pas encore chez Zola ! Son rapport avec les filles est assez touchant et rappelle l’Arturo Bandini de Fante, dans son côté maladroit voire effrayé parfois !

En revanche, son discours tourne à vide (et en rond) lorsqu’il commence à dénoncer les passe-droits et pistons qui lui semblent régenter le milieu social et professionnel sur un air de les-méchants-propriétaires-et-employeurs-capitalistes.
Son comportement envers sa petite amie issue d’un milieu privilégié en témoigne. Une certaine aigreur voire rancœur ne le quittent pas. On le sent envieux et défaitiste d’avance tandis que de l’autre côté il n’a aucune réelle aspiration ou projet professionnels qui lui permettrait d’avancer et de « s’élever » (hormis son projet d’écriture de roman). Seules les motivations financière et consuméristes semblent le guider. Avant sa conclusion (assez remarquable) sur notre éphémérité et le côté vain de l’existence… [Alexandra Galakof]

Paroles de l’auteur

A propos de la dimension autobiographique du roman : « Il y a beaucoup d’anecdotes qui sont tirées du réel et qui concernent beaucoup de gens de ma génération en France même si j’ai écrit sans penser toucher d’autres personnes mais simplement parce que j’avais envie de raconter une période de ma vie importante à mes yeux. Cette absurdité des entretiens pour obtenir des emplois où on vous vire en fin de période d’essai après avoir abattu le travail de trois personnes est donc plus un sentiment personnel qu’un constat… Un peu des deux car ce sentiment de frustration, on le retrouve par exemple chez Bukowski qui raconte ses entretiens d’embauche et ses jobs pourris. Tout ce qui en résulte, ce n’est qu’un manque d’estime de soi. Le fait que le narrateur soit un provincial à Paris compte aussi. Il est perturbé de voir toute cette agitation, toute cette incohérence et les rapports avec les autres personnes, les femmes et les recruteurs qui sont loin d’être simples. »

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