Femmes de plus de 40 ans recherchent désirabilité : figure de la femme mûre en fiction, entre cougar pathétique et rebut de la société

Si le sujet de la jeune fille succombant à l’homme d’âge mûr est un sujet/fantasme rebattu que Claire Castillon vient d’ailleurs de revisiter avec « Les messieurs », montrant notamment l’ambivalence de cette attirance dont le côté cérébral ne suit pas toujours le physique, ou de vieux libidineux séduisant une jeunette (Roth s’en étant fait une spécialité de « La tâche » à « La bête qui meurt »…), celui du désir et de la séduction chez la femme de plus de 40 ans semble encore relativement tabou ou rare, jugé indécent, contre-nature ou gênant (?). Quand il est abordé, chez les auteurs masculins (qui l’accable ou la tourne en ridicule) comme chez les écrivains femmes, leur portrait n’est guère flatteur ou optimiste comme le démontre le dernier roman remarqué « Celle que vous croyez » de Camille Laurens

Adaptation ciné de "La bête qui meurt" de Roth (Elegy, 2008) autour d'un couple d'un prof vieillissant (Ben Kingskey, 65 ans) et  Penelope Cruz son étudiante (34 ans)

Adaptation ciné de « La bête qui meurt » de Roth (Elegy, 2008) autour d’un couple d’un prof vieillissant (Ben Kingskey, 65 ans) et Penelope Cruz son étudiante (34 ans)

Elle y met en scène deux femmes dites d’âge mûr, son alter-ego écrivain « de plus de cinquante ans » et un avatar, Claire, agrégée universitaire de 48 ans, toutes deux divorcées et esseulées, femmes désirantes mais devenues indésirables en tout cas aux yeux des hommes qui les attirent. Jugées trop vieilles, ayant dépassé la date de consommation, ces femmes sont condamnées à vivre dans leurs fantasmes ou à servir au mieux de « plan Q » de dépannage. Laurens dénonce avec virulence cet état de fait, même si elle sombre parfois dans la caricature ou des amalgames sans rapport (comme son pamphlet d’ouverture sur la haine du féminin qui relève d’un autre problème).

Elle cite par exemple le fait que les mots clé « teen » et « sex » sont les termes les plus recherchés sur Google dans le monde. Le site de rencontre américain Okcupid avait aussi analysé en 2010 les comportements de ses membres. Il en était ressorti que les hommes, même dans leur cinquantaine, favorisaient en priorité les conversations avec les femmes de moins de 25 ans : « une fixation masculine sur la jeunesse qui déséquilibre les rapports de séduction » selon leurs conclusions.

Carte "thermique" montrant les fourchettes d'âge recevant le plus de messages (en vert) et les plus délaissées en rouge

Carte « thermique » montrant les fourchettes d’âge recevant le plus de messages (en vert) et les plus délaissées en rouge

Courbe de la "désirabilité" par sexe: après 26 ans l'attractivité des femmes s'effondre (d'après les chiffres d'une étude du site de rencontre américain OKcupid, 2010)

Courbe de la « désirabilité » par sexe: après 26 ans l’attractivité des femmes s’effondre (d’après les chiffres d’une étude du site de rencontre américain OKcupid, 2010)

En 2015, la polémique sur la discrimination des actrices américaines âgée de plus de 40 ans, voire de 35 ans a aussi été pointé du doigt, suite au sketch « The Last Fuckable Day » (Le dernier jour où l’on est « baisable ») d’Amy Schumer, Tina Fey, Patricia Arquette et Julia Louis-Dreyfus (voir ci-dessous). Dans leur sillage l’actrice américaine, Maggie Gyllenhaal, avait confié qu’à 37 ans, elle avait été jugée trop vieille pour séduire dans un film un homme de… 55 ans. Le site Vulture s’était déjà amusé en 2013 à radiographier les différences/fossés d’âge entre les acteurs et leurs partenaires féminines sur un air de « le héros prend de l’âge mais sa dulcinée stagne à la vingtaine »…

Autre pavé dans la mare: l’étude réalisée par The Journal of Management Inquiry (« Age, Gender, and Compensation: A Study of Hollywood Movie Stars », 2014) indiquant que les actrices de plus de 34 ans seraient moins bien rémunérées que leurs homologues masculins, basé sur l’examen des salaires de 265 acteurs et actrices entre 1986 et 2008. « Le visage d’un homme tanné par l’âge est perçu comme représentant maturité, caractère et expérience, tandis que le visage d’une femme est valorisé pour son apparence juvénile», avait analysé le Pr. Timothy Judge, l’un des auteurs de cette étude, sur le site USA Today. Il n’est donc pas étonnant de voir les actrices recourir massivement à la chirurgie esthétique pour continuer à travailler (puis se faire lyncher pour avoir cédé à l’appel du bistouri bien sûr!).

Camille Laurens dénonce aussi l’oppression du diktat de l’apparence physique ou de la jeunesse comme seuls moteurs du désir des hommes pour les femmes. On note en particulier sa reprise de l’image de la burqa qu’avait employée Nelly Arcan (à qui elle rend hommage à la fin et dont elle reprend certaines obsessions) et titre de son dernier recueil posthume de récits (« Burqa de chair »), ici appliquée à l’invisibilité subie par les femmes à partir d’un certain âge :

« L’indifférence est un autre genre de burqa – une autre façon pour les hommes de disposer seuls du désir. Une autre façon de fermer les yeux. On a servi, on ne sert plus.
Hier fantasme, aujourd’hui fantôme. »

Elle préfère donc suivre finalement le jeu des hommes et se plie à leurs règles en tentant vainement de paraître plus jeune, et d’endosser au passage le rôle de la « cougar » qu’elle cherche pourtant à éviter, rappelant ainsi la Léa, maîtresse du jeune Chéri imaginée par Colette , qui craignait plus que tout d’être surprise dans la lumière crue dévoilant les marques de l’âge sur sa peau:

Mais je repartais souvent au petit matin, par peur que mes yeux gonflés et ma peau sans maquillage ne lui rappellent ce qu’il ne semblait pas se rappeler. Moi qui prétends mépriser la mascarade féminine, j’entretenais un naturel très étudié, une jeunesse d’allure qui correspondait à ma juvénilité intérieure.

Car il faut souligner ici le paradoxe de sa narratrice qui d’une part se plaint de l’exigence de jeunesse des hommes, tout en préférant elle-même ses cadets trentenaires… De surcroît à tendance goujate, limités culturellement et intellectuellement dont leur seule qualité semble être leurs charmes physiques tandis qu’elle répond au portrait opposé (certes les opposés s’attirent mais tout de même!), tout en cultivant un côté fleur bleu avec son haut niveau d’érudition. Elle n’interroge paradoxalement pas cette attirance qu’elle reproche aux hommes…, même s’il est vrai qu’elle leur est relativement bien tolérée tandis que les femmes passent pour de vulgaires « cougars » (qualificatif angliciste et sexiste que la narratrice réfute d’ailleurs).

Un vieillissement à deux vitesses: des héros éternellement séducteurs et séduisants

En effet, un décalage flagrant existe dans la perception socio-culturelle du vieillissement chez la femme et celui de l’homme : le premier ne pâtissant guère de sa dégradation physique tandis que la première s’en trouverait anéantie. Laurens insiste tout particulièrement sur ce système à deux vitesses, ce double critère qui défavorise les femmes dans cette « partie inégale » pour reprendre les mots de Mme de Merteuil citée par Laurens :

Pourquoi une femme devrait-elle passer 45 ans, s’arracher du corps l’épine, l’écharde du désir ? » s’écrie-t-elle.

Et de regretter les restrictions qui s’appliquent socialement aux femmes contrairement à leurs homologues masculins :
Il y a quelque chose chez les hommes qui n’est pas limité, qui ne menace pas de se refermer.
(…) Le monde leur appartient plus qu’à nous – le temps, l’espace, la rue, la ville, le travail, la pensée, la reconnaissance, l’avenir »

Plus loin, elle admet qu’elle a «  toujours prêtée à tous les hommes : la puissance, celle de rebondir, d’oublier, de tourner la page. » Et a contrario, elle n’envisage la femme que dans « un combat permanent pour ne pas être victime, pour rester forte ou au moins digne.

Sa perception de la femme et du féminin s’avère ainsi extrêmement négative, restreinte, pessimiste et défaitiste comme lorsqu’elle la définit avant tout comme « une insécurité, une dépendance », ce qui manque probablement de modernité… Elle s’inscrit ainsi, à l’instar d’Arcan, dans la lignée des romancières depuis une Mme de Lafayette au XVIIe siècle, projetant une image de la femme ne pouvant être que victime de l’homme (par opposition aux romans précieux qui célébraient la « femme forte » à l’image de Scudéry notamment). Elle fait d’ailleurs référence à cette tradition littéraire en citant les célèbres Liaisons dangereuses du XVIIIe siècle, œuvre tutélaire de son roman, en s’assimilant à Merteuil et Tourvel, considérant toujours d’actualité l’inégalité dans les rapports amoureux.

Il est frappant de constater qu’à ce sujet, on en est resté à une conception extrêmement archaïque et primitive. La femme, malgré toutes les avancées qu’elle aura pu arracher à la société patriarcale, reste (ou se laisse) réduite à sa plastique et à sa « fraîcheur » pour toute valeur, au nom de quelque hasardeuses explications biologiques de fertilité. « Une jolie tulipe » dans un jardin comme l’anglaise protoféministe Mary Astell s’en insurgeait dans A serious proposal to the Ladies dés 1694 (« How can you be content to be in the world like tulips in a garden, to make a fine show, and be good for nothing »). Il semble que l’Histoire stagne et les mentalités n’évoluent pas…

Dans son roman choral au titre provocateur « Comment trouver l’amour à 50 ans quand on est parisienne », Pascal Morin raconte entre autres l’histoire d’une prof de français divorcée (tiens tiens ça rapelle quelqu’un 🙂 qui pour tromper sa solitude surfe sur les sites de rencontre jusqu’à vivre une relation inattendue avec un plombier d’origine sénégalaise de 25 ans son cadet…

Toutefois, cela n’est possible, encore une fois que si la femme, comme les héroïnes de Laurens, y consent. Laurens propose vaguement « d’éduquer » les hommes à être séduits entre autres par « l’intelligence ». Sa vision, même si visant assez juste sur certains points, pèche malgré tout par son manichéisme et ses généralisations forcément réductrices (la séparation corps/esprit n’étant jamais aussi franche hormis chez quelques psychotiques arriérés). Encore une fois, elle ne veut pas remettre en cause plutôt ses propres attirances pour des hommes superficiels ou dysfonctionnels et sa dépendance au regard masculin dont elle ne parvient pas à s’affranchir, mendiant sa reconnaissance ou son attention/intérêt et ne s’évaluant qu’à l’aune de ce regard, s’obstinant à n’être finalement qu’un « reflet dans un œil d’homme » selon le titre de l’essai -fort décrié du reste mais qui sur le plan du rapport visuel me paraît juste et significateur- de Nancy Huston. Elle préfère ainsi se nier elle-même et se soumettre à ce regard, contrairement à une Despentes par exemple qui a volontairement choisi de ne plus jouer le jeu de ce lamentable « marché à la bonne meuf » comme elle l’appelle dans « King King Théorie » et revendique sa « mocheté », une sorte de « droit à la mocheté » particulièrement revigorant ! Difficile en effet d’inverser la tendance tant que les femmes continueront d’accorder de l’importance au regard et au discours masculin et de se laisser façonner par eux (tendance qui tend d’ailleurs à s’atténuer comme on le voit avec les nouvelles générations qui s’élèvent par exemple contre l’épilation ou arrêtent le maquillage).

A ce sujet, la Léa de Colette dans Chériapparaît plus lucide et honnête puisqu’au lieu de généraliser, elle s’avoue volontiers rebutée elle-même par les hommes marqués par l’âge. Elle assume son choix et ses conséquences, à savoir les risques et périls d’une relation avec un homme beaucoup plus jeune et la compétition physique inégale qu’elle doit livrer avec les jeunes femmes de facto.

Dans La pianiste Elfriede Jelinek, Erika Kohut, « vieille fille » de 40 ans vivant avec sa mère, malheureuse en amour malgré/à cause de sa virtuosité artistique, « l’artisan de son malheur » comme elle le qualifie, est une lointaine cousine de Claire Millecam ; elles sont d’ailleurs toutes deux profs. En effet Millecam, se plaint de n’être reconnue que pour son érudition littéraire, et regrette de ne plus être « objet » de désir amoureux (« la reconnaissance sociale, le respect que suscitent la réussite professionnelle ou le charisme personnel c’est bien, c’est gratifiant mais ça n’engendre pas l’amour. Etre respectée pour ses cours ou ses livres, c’est comme une parodie du désir qu’on n’inspire plus. L’admiration nous tue aussi (…) le corps d’un côté, l’esprit de l’autre.»). D’autant qu’elle observe, amère, ses collègues masculins séduire sans peine les jeunes doctorantes (oubliant toutefois au passage qu’être une jeune femme c’est aussi être vue comme un pur objet sexuel, ce qui n’est guère plus gratifiant…, comme le prof de Disgrâce (Coetzee) qui poursuit l’une de ses étudiantes et finira par l’abuser).

Chez Sagan, la femme de plus de 40 ans fait quelques incursions et court aussi après les jeunes éphèbes. On trouve ainsi dans La chamade le personnage de Diane, 45 ans et son amant/gigolo Antoine dont elle ne parvient pas à se faire aimer et qui lui échappera de la même façon, séduit par Lucile et ses 30 printemps, elle-même en couple avec un grisonnant de 50 ans qui l’entretient. Microcosme à la fois glauque, mondain et élégant comme les affectionnait l’auteur de Bonjour tristesse. Un dialogue entre Charles et Lucile au sujet de sa rivale aînée témoigne de la même image négative pour son âge qui la place hors jeu :

Diane est dans un étrange état. (…) Elle avait l’air fixe, égarée…, elle me faisait peur »
Elle essaya de rire. Charles se tourna vers elle :
« Peur ? Vous voulez dire pitié ?
– Oui dit-elle d’une voix tranquille, pitié aussi. Il n’est pas gai de vieillir pour une femme.

Ailleurs, Sagan lance « l’adversité courbe le dos, quoi qu’en en dise, spécialement celui des femmes. » La beauté physique féminine et comment la sauvegarder, y compris par illusion (cf : le « maquillage de nuit » appliqué par Diane pour masquer ses rides) est ici aussi au centre des rapports homme-femme.
Dans « Aimez vous Brahms ? », son héroïne s’approche de l’âge charnière fatidique des 40 ans et oscille ainsi entre jeune fougueux et homme mûr. L’incipit donne le ton : « Paule contemplait son visage dans la glace et en détaillait les défaites accumulées en trente-neuf ans… », passant difficilement du rang de jeune femme au rang de femme (encore) jeune. Elle décrit le miroir comme un accessoire qui « la tue à petit feu, doucement, s’attaquant à une apparence qu’elle savait avoir été aimée ». On est donc d’emblée dans la défaite de la femme vieillissante, toujours la partie inégale de Mme Merteuil. Ici c’est l’homme mûr qu’elle désire mais qui préfère la tromper avec une jeune et ravissante idiote.

Il y a quelques années, Josianne Balasko avait abordé la thématique à travers un film intéressant « Cliente » (adapté en 2008 de son roman éponyme publié en 2004), où elle montrait une femme de plus de 50 ans qui préférait payer de jeunes gigolos pour ne plus souffrir dans une relation (« Je paye juste pour le plaisir, j’ai trop payé pour le reste« ).

Côté auteurs masculins, la plume est encore plus cruelle à l’instar de Michel Houellebecq, dont Laurens s’affirme ici l’alter-ego au féminin, faisant entendre la voix féminine pendant de ses personnages masculins désenchantés, mais s’avérant aussi finalement une illustration plus vraie que nature de ses constats tranchants sur une féminité vouée à la déchéance une fois ses charmes physiques évanouis ou altérés. Car en effet chez Houellebecq, la femme mature est avant tout pitoyable et pathétique ce qu’il ne de cesse de décrire, non sans une certaine délectation semble-t-il. Tour à tour il l’accable, la plaint la prend en pitié ou la méprise. Il lui arrive toutefois de la tolérer comme dans Plateforme quand il n’a pas le choix et tant que celle-ci s’avère anti-féministe et soumise au plaisir phallique.

D’Extension du domaine de la lutte aux Particules élémentaires jusqu’à La possibilité d’une île, il la stigmatise sans relâche :
Dans Les particules élémentaires, Bruno ne supporte pas le corps « sexuellement imparfait » (cellulite, vergetures…) de son ex-femme après sa grossesse. Avec le cynisme qui fait sa marque de fabrique il écrit par exemple : Désirait-il encore les femmes de son âge ? En aucune façon. Par contre, pour une petite chatte enrobée dans une minijupe, il se sentait encore prêt à aller jusqu’au bout du monde. Enfin du moins jusqu’à Bangkok. » Un constat qui ne le réjouit pourtant guère alors qu’il est bien conscient des ravages de cette obsession jeuniste : « Dans un monde qui ne respecte que la jeunesse, les êtres sont peu à peu dévorés. » Il n’ose pas en revanche nommer explicitement« monde » par hommes et « les êtres » par femmes.

Farouchement anti-féministe, il en profite pour se moquer au passage des militantes des années 60 (amalgamant au passage en toute mauvaise foi culte et libération du corps de la femme et occultant les véritables motivations de leurs revendications, en particulier leur quête d’indépendance) : « Le désir sexuel se porte essentiellement sur les corps jeunes…. Il n’empêche que les femmes qui avaient eu vingt ans aux alentours des années 68 se trouvèrent, la quarantaine venue, dans une fâcheuse situation. Généralement divorcées, elles ne pouvaient guère compter sur cette conjugalité – chaleureuse ou abjecte – dont elles avaient tout fait pour accélérer la disparition. Faisant partie d’une génération qui – la première à un tel degré- avait proclamé la supériorité de la jeunesse sur l’âge mur, elles ne pouvaient guère s’étonner d’être à leur tour méprisées par la génération appelée à le remplacer. Enfin, le culte du corps qu’elles avaient puissamment contribué à constituer ne pouvait, à mesure de l’affaissement de leurs chairs, que les amener à éprouver pour elles-mêmes un dégoût de plus en plus vif – dégoût d’ailleurs analogue à celui qu’elles pouvaient lire dans le regard d’autrui. »
Ce dégoût est surtout celui que les hommes leur font comprendre qu’elles inspirent à l’instar de Bruno qui achète une guêpière à sa femme dans l’espoir de relancer sa libido et qui ne supporte pas sa vue : « En rentrant dans la chambre, je me suis tout de suite rendu compte que c’était foutu. Ses fesses pendaient, comprimées par les jarretelles ; ses seins n’avaient pas résisté à l’allaitement. » ou encore l’élégant « Plus tard ses seins sont tombés, et notre mariage s’est cassé la gueule lui aussi ».

Il compare ensuite avec la situation des hommes du même âge et reconnaît la disparité de traitement : « la quarantaine venue, les hommes continuèrent dans leur ensemble à rechercher des femmes jeunes – et parfois avec un certain succès, du moins pour ceux qui, se glissant avec habileté dans le jeu social, étaient parvenus à une certaine position intellectuelle, financière ou médiatique »
Avant de conclure sans appel mélodramatiquement : « pour les femmes, dans la quasi-totalité des cas, les années de la maturité furent celles de l’échec, de la masturbation et de la honte. »

Dans « La possibilité d’une île », il considère qu’Isabelle, la femme de Daniel, ne peut que renoncer à sa sexualité à mesure qu’elle prend de l’âge : « De plus en plus souvent, il fallut éteindre la lumière ; puis la sexualité elle même disparut. »
Dans Soumission, son narrateur François sépare les femmes en deux catégories : les jeunes, baisables, et les femmes « pot-au-feu » qui font à manger.
Finalement, il achève de lui régler sans compte dans un piteux haïku en franglais, peu inspiré, de son recueil de poésie «Configuration du dernier rivage » :

Tu te cherches un sex-friend,
Vieille cougar fatiguée
You’re approaching the end,
Vieil oiseau mazouté.

Dans son sillage, on trouve un Parisis dont l’anti-héros quinqua de « La recherche de la couleur » s’insurge contre les femmes post 40 ans et son épouse dont les stigmates du temps le repoussent,
ou encore Richard Millet dont Laurens cite un ouvrage (« La voix d’alto ») où une femme décide de se suicider à 44 ans, avant d’entrer « dans l’hiver de la vie », avec les encouragements de son conjoint le voyant comme une conséquence logique de sa déliquescence.
Outre Atlantique, on pourra aussi citer un Henry Miller, jamais avare de commentaire misogynes en tout genre comme dans Tropique du cancer où il explique: « On peut tout pardonner à une poule jeune. Elle n’a pas besoin d’être intelligente. Elles sont bien mieux quand elle sont bêtes. Mais une vieille rombière, même si elle est très intelligente, même si elle est la femme la plus charmante du monde, ça ne fait absolument aucune différence. Une poule jeune, c’est un placement; une vieille c’est une perte sèche. »

Cinéma et séries TV : Faire évoluer les rôles de femmes limités à celui de mère ou veuve après 35 ans

20 ans d'écart avec Virginie Effira

20 ans d’écart avec Virginie Effira

On peut faire l’analogie avec ce qui se passe au cinéma en particulier à Hollywood. Il semble qu’en France on soit un peu plus égalitaire, exemple récents Isabelle Huppert âlors âgée de 63 ans dans Elle (2015) dans un rôle de surcroît loin de tous les stéréotypes pour une femme de cet âge !, ou précédemment en 2012 le pas assez remarqué « Parlez-moi de vous » avec Karin Viard (actrice quinqua dont la carrière ne faiblit pas !) dans le rôle poignant d’une quadragénaire animatrice radio célèbre et fortunée mais esseulée qui tente de retrouver et de renouer avec sa mère qui l’a abandonnée enfant, Deneuve dans Potiche (2010) ou Au plus près du paradis, ou plus loin le succès de Marius et Jeanette en 1997 !

Karin Viard dans « Parlez-moi de vous » (2012), la quête de ses racines et de l’amour maternel d’une quadragénaire coupée de ses émotions et qui apprendra à sortir de sa zone de confort.

Les réalisatrices femme font d’ailleurs progresser la donne en ce sens, comme Justine Triet avec Victoria (interprétée par Virginie Effira, aussi à l’affiche de « 20 ans d’écart » sur un thème connexe). Elle commentait par exemple à ce sujet : «A 40 ans, on est déjà un peu salies par l’existence. On a un passif en terme d’amours et d’amitiés abîmées. Ça ne m’intéresserait pas de prendre une fille de 20 ans comme sujet.», Despentes ayant fait jouer Béart et Dalle ou encore dans « La vie d’une autre » Sylvie Testud faisait interpréter à Juliette Binoche une femme de 40 ans qui se réveille croyant avoir 25 ans, âge de sa rencontre avec son compagnon (tiré du roman éponyme écrit par Frédérique Deghelt).

En 2017, Binoche rayonne de nouveau dans le film d’une autre grande réalisatrice, Claire Denis (co-écrit avec Christine Angot), du film « Un beau soleil intérieur » qui s’intéresse justement à la quête amoureuse (et aux déconvenues) d’une femme quinqua divorcée. Le film rappelant sur la thématique le très louangé Blue Jasmin de Wood Allen, le plus européen des cinéastes américains avec Cate Blanchett alors âgée de 44 ans, également dans le rôle d’une divorcée déchue de la haute société new-yorkaise qui tente de se reconstruire et de renouer une relation, avec guère plus de chance que son homologue française…

Juliette Binoche, lumineuse à 53 ans, à l’affiche d’Un beau soleil intérieur de Claire Denis (sept.2017) : les chassés-croisés amoureux d’une femme passés la cinquantaine.

Blue Jasmin de Woody Allen (2014), portrait d’une divorcée quadragénaire contrainte de remettre sa vie en question et de repartir de zéro.

Citons enfin le cinéma de Maïwenn (en particulier « Mon roi » avec Emmanuelle Bercot, alors âgée de 47 ans, dans le rôle principal d’une femme sous l’emprise d’un pervers narcissique) particulier son rôle Julie Delpy et en particulier son film La comtesse sur cette aristocrate hongroise qui justement délaissée par son jeune amant , encore une !, va recourir à un traitement de choc pour tenter de recouvrer sa jeunesse perdue (des bains de sang de jeune vierge!). Une façon d’explorre le jeunisme auquel elle est surexposée en tant qu’actrice. Lors d’une interview la réalisatrice avait d’ailleurs raconté une anecdote de son agent qui lui avait annoncé à 27 ans qu’elle était trop vieille et qu’elle ne travaillerait plus.

Outre-Atlantique en revanche, l’humoriste Amy Schumer dénonçait dans The Last Fuckable Day (vidéo issue de son émission Inside Amy Schumer), les actrices coincées dans le rôle de mères d’hommes de leur génération (comme Sally Field dans Forrest Gump). Alors que beaucoup d’acteurs peuvent jouer pendant des décennies des rôles de « jeunes premiers », les femmes sont vite abonnées à ceux de mères de famille ou veuves… Julia Louis-Dreyfus évoque aussi le fait qu’on la cachera sous des vêtements à manches longues et qu’elle disparaîtra de l’affiche de ses films.

MAJ oct. 2017 : Je signale aussi le très bon article (et excellent titre !) « Les actrices meurent toujours jeunes » sur le blog Crêpe Georgette qui analyse à juste titre le traitement à double critère du décès récent de célèbres actrices et acteurs dans la presse où toutes les femmes (Darrieux, Darc, Jeanne Moreau) sont représentées par des photos de leur jeunesse tandis que les hommes (Rochefort) bénéficient de photos récentes à un âge avancé et ridé. Comme si la beauté des premières était leur talent premier (avec le fait « d’avoir joué pour les plus grands » tandis que les seconds sont reconnus pour leurs qualités artisitiques indépendamment de leur physique et sont « grands » pour eux-mêmes.

Récemment la série Younger, adaptée du roman éponyme par l’américaine Pamela Redmond Satran (2005) par le créateur de la série de Sex and the City (Darren Starr), s’intéresse aussi au sort d’une femme à la quarantaine. Déjà dans sa série phare, Carrie Bradswaw et son cercle n’était pas de « première jeunesse » (trentaine bien entamée) mais à l’âge où une femme est censée se ranger et procréer, elles continuaient de collectionner les aventures et privilégiaient leurs vies personnelles et pro, ce qui avait étonné à l’époque. Le personnage de Samantha en particulier a la quarantaine au début et finit à 50 ans avec en prime un jeune mannequin aux allures d’homme objet.

Le couple "controversé" de la série "Younger": Liza (40 ans) et son petit ami Josh de 26 ans.

Le couple « controversé » de la série « Younger »: Liza (40 ans) et son petit ami Josh de 26 ans.

Ici le producteur et scénariste explore en particulier le retour sur le marché de l’emploi d’une mère au foyer divorcée. Victime de discrimination, elle est contrainte de mentir sur son âge et prétend ainsi avoir 26 ans, aidée par un physique encore juvénile, sur les conseils de sa meilleure amie artiste gay et libérée dont la devise est « Les gens croient à ce qu’on leur dit ».
La série bien menée explore donc la façon dont cette femme va pouvoir vivre un nouveau départ tant pro que sentimental tout en vivant une sorte de deuxième jeunesse, avec tous les quiproquos que cela peut entraîner, en particulier liés à sa double vie (celle d’une mère divorcée d’un côté et de l’autre d’une jeunette de la génération Y, « millenial ») et ce sentiment « d’imposture » qui l’habite. Sans compter qu’il lui faut parvenir à conserver son secret (tâche pas toujours aisée on s’en doute surtout avec une fille de 18 ans !) sous peine de perdre son job.
Dans une interview au site Indiewire (http://www.indiewire.com/2015/04/darren-star-on-how-tv-has-changed-from-90210-to-younger-62535/), l’auteur de la série Darren Starr expliquait que le sujet de Younger est avant tout la « réinvention de soi » et sur la notion d’âge comme « un état d’esprit » avant tout, qu’il pense possible de transcender, tout en « explorant les différences entre générations ».

Scène de la série "Younger" où Liza l'héroïne mère de famille de 40 ans est abordé par un jeune dans un bar la prenant pour une fille dans sa vingtaine et s'enfuyant après qu'elle lui annonce son "statut".

Scène de la série « Younger » où Liza l’héroïne mère de famille de 40 ans est abordé par un jeune dans un bar la prenant pour une fille dans sa vingtaine et s’enfuyant après qu’elle lui annonce son « statut ».

Liza nouera notamment une liaison mouvementée avec un jeune tatoueur d’une vingtaine d’années tout en séduisant aussi son patron, lui âgé d’une quinzaine d’année de plus qu’elle (qui ne la laisse pas non plus insensible). La raison voulant bien sûr que ce triangle amoureux se résolve par son choix de se ranger avec son aîné plutôt qu’avec son jeune fougueux qui finira bien par la larguer comme le lui rappelle, « en bonne copine lucide » l’une de ses amies quadra, autre mère au foyer de la banlieue de New Jersey:

I’m saying this as your friend.
You know this will end.
I mean, Demi Moore couldn’t make it work, and she’s gorgeous.
I mean, not that you’re not.
You are.
But, listen, people age in spurts, like growth spurts.
Right, you look great now, but another couple years, you could get slammed with an age spurt, and then where are you? You have wasted your last gasp of youth on Mr.
Hunkalicious when you could be finding a real partner, someone appropriate, someone you don’t have to hide from your friends.
Josh is.
Oh, no, don’t say he’s a real partner.
Come on.
I know it feels good now.
I just don’t want you to mistake it for something it’s not and wind up getting hurt all over again.
(« Younger », season 2, Jersey, sure, épisod 5, saison 2)

La réalité semble tristement donner raison à cette dernière…
Cerise sur le gâteau, l’héroïne travaillant dans le milieu de l’édition, on s’amusera au passage des stratégies marketing pour lancer des auteurs ou créer le buzz à l’ère des réseaux sociaux et des hashtags.

Pour conclure, si la visibilité de la femme de plus de 40 ans tend à s’accroître en particulier au cinéma ou dans les fictions TV, et à dépasser les clichés de mère au foyer rangée et asexuée, elle reste encore cantonnée à une créature étrange dont le désir et la séduction ne semblent au mieux pas naturels en particulier si elle vit une histoire avec un homme plus jeune (contrairement aux hommes où l’acte paraît presque banal désormais) ou au pire pathétique et dramatique (dérive d’anti-héroïnes à tendance névrotique ou « victime » ; on a du mal à sortir de la traditionnelle figure de « femme-au-bord-de-la-crise-de-nerf » où le bon vieux cliché historique de l’hystérie féminine n’est pas loin…), dans tous les cas voués à l’échec ou à la frustration… Le réalisateur Pierre Pinaud confiait d’ailleurs au sujet de son premier long métrage « Parlez-moi de vous  » cité ci-dessus confiait d’ailleurs sa fascination pour « les personnages de femmes perdues, troublées », et de « femme en détresse ».
Ne reste qu’à souhaiter que les mentalités vont évoluer et que les auteurs sauront renouveler ces clichés éculés, sclérosants et réducteurs pour que le désir et la désirabilité d’une femme de plus de 40 ans soient enfin considéré comme « normaux » et positifs ! [Alexandra Galakof]

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