L’héritage des livres d’enfance d’antan analysé

analyse livres enfance fantometteLes héros de notre enfance restent souvent des souvenirs mémorables et certains peuvent même se targuer de traverser les époques et d’être lus avec toujours autant de plaisir par la nouvelle génération.
« Fantômette », « Le Club des 5 », « Caroline » sont particulièrement prisés et se voient même offrir des hommages par toute une partie de l’intelligentsia, alors que le père de la première, Georges Chaulet, nous a quittés en octobre 2012 :

« Je dois autant à Fantômette qu’à Marguerite Duras » l’envie de devenir écrivain », confiait la romancière Marie Darrieussecq à l’occasion du 50e anniversaire de la justicière masquée en 2011.
De son côté, Aurélie Filippetti avouait dans une interview avant de devenir Ministre de la Culture qu’elle cachait dans sa chambre justaucorps et collants pour grimper aux arbres comme son héroïne fétiche !
Lors de la mort de l’auteur, la Ministre lui a rendu un hommage plus officiel en écrivant dans un communiqué que « Georges Chaulet était l’une grandes signatures de la Bibliothèque rose. En donnant vie à Fantômette, délicieux petit lutin au collant noir et à la tunique jaune, il aura créé l’un des personnages les plus célèbres de la littérature enfantine, une héroïne à la fois drôle et audacieuse. »
Nelly Kapriélian, critique littéraire au Masque et à la plume et aux Inrocks, louait son « éloge de la clandestinité » tandis qu’Agnès Desarthe se retourne sur « Le Club des cinq » (qu’elle jalousait pour leur côté « trop parfaits ») dans son dernier ouvrage « Comment j’ai appris à lire ».

Parmi toutes les louanges portées à Fantômette, sage écolière le jour et justicière en justaucorps la nuit, née en 1961 (avec la sortie de Les exploits de Fantômette, ré-édité en 2011 par Hachette) et héroïne de 52 aventures, celles de Thomas Clerc ont plus particulièrement retenu l’attention, avec la publication d’un article dans Libération intitulé «Fantômette», l’antihéroïne de mon enfance puis à travers divers entretiens sur France Inter. Cet agrégé de lettres modernes, écrivain et maître de littérature contemporaine à Paris X (qui publie en cette rentrée littéraire un roman conceptuel « Intérieur ») s’est livré à une véritable analyse. Il plébiscite tout d’abord le charme de la dualité du personnage qui se transforme et se travestit (faculté se nommant « frégolisme » nous apprend-il), qu’il rapproche du mythe de Dr Jeckill et Mr Hyde avec une Françoise diurne et Fantômette la justicière nocturne.
« Chaulet a aussi eu l’intelligence de toujours suggérer cette transformation et tout n’est qu’allusions : on ne nous dit jamais explicitement que Françoise est Fantômette. » fait-il remarquer.

Autre réussite du roman : ses figures de méchants, particulièrement importantes dans la littérature jeunesse. Chaulet considérait d’ailleurs que tout bon livre s’appuyait sur « une lutte entre les bons et les méchants avec un enjeu ». Et chez lui on trouvait de « vrais méchants » et non pas une littérature édulcorée ou aseptisée.
François Rivière, auteur d’une anthologie, à paraître en cette rentrée littéraire 2013 (« Les chefs-d’oeuvre de la littérature jeunesse ») souligne les trois formes de méchanceté incarnées dans ses romans, témoignant de leur finesse psychologique : « la méchanceté Bulldozer, brute et stupide, la méchanceté intellectuelle du Furet qui est plus machiavélique et la méchanceté snob du Prince d’Alpaga.Cette brochette de méchants évite tout manichéisme. »
Thomac Clerc ajoute qu’il a aussi su nourrir l’ambiguïté en mêlant méchanceté et séduction comme dans la figure du « prince d’Alpaga ».

Autre marque de fabrique de la littérature jeunesse : l’absence des parents comme dans Le club des cinq qui réjouit le jeune lecteur. Fantômette apparaît ainsi comme une « figure très libre ».
Ici les parents font l’objet d’une ellipse complète, telle une « fantômatisation du contexte parental », sans pour autant la placer dans la situation d’orpheline, « ce qui évite tout psychologisme familial (comme dans les romans d’Hector Malot par exemple) », note avec satisfaction Thomas Clerc.

Enfin, la langue de Chaulet a aussi porté son succès. « C’est un style limpide teinté d’ironie permanente, une vraie écriture élégante qui évite toute mièvrerie. » décrit Thomas Clerc.
Pour François Rivière, c’est « une langue scintillante et colorée ».
Tous deux plébiscitent aussi son humour, « plein de calembours et de mots d’esprit ».
A titre d’exemple François Rivière cite les noms donnés à certaines personnages comme « Baratin », nom du candidat à la 1e circonscription au 1e tour, « Lucie Tronnade » ou un chirurgien baptisé « Bistouri »
Le langage de Fantômette est aussi fleuri avec son mémorable juron « mille pompons », faisant écho à son bonnet à pompons et qui témoigne de l’inventivité de l’auteur pris entre les tenailles de la censure particulièrement stricte de l’époque (il lui était interdit d’écrire « zut »).

Car le contexte d’écriture de Fantômette a aussi influencé sa naissance et ses attributs. « Après le contexte de la guerre, le héros a été discrédité par le fascisme. Une nouvelle problématique s’est posée: comment produire des héros positifs, c’est à dire non totalitaires ? Fantômette constitue une parade : on construit une héroïne qui donne une légitimité au concept de héros. » explique Thomas Clerc.
Ce dernier qui n’aimait pas les super héros (américains) que lisaient ses copains à l’époque, qualifie
Fantômette d' »inhéroïque fantasy » (atchoum!).
« Alors que l’héroïsme était entaché en Europe de problèmes idéologiques, le culte viril du héros sérieux est savoureusement détrôné par une figure mixte, masculine et féminine. Fantômette m’a préparé à l’ambiguïté constitutive des sexes bien mieux que le discours actuel de la sociologie du genre. » analyse-t-il. Et de rajouter : « J’ai choisi « la bulle de savon » Fantômette en réaction contre le culte du super-héros, de la viririlité sans faille du côté de la force qui m’ennuyait profondément car manquant de finesse et d’humour. » »

Analyse littérature enfantine, livres d'enfants

Dans Le club des cinq dés 1942 publié plus tard en France (avec une francisation de tous les lieux et noms ainsi qu’une traduction plutôt laborieuse récemment modernisée), les enfants vivent aussi leurs aventures loin des parents (qui bien qu’existants ne sont pas aimés, une caractéristique qui s’explique par le propre désamour de l’auteur, l’anglaise Eny Blyton (également créatrice du célèbre « Oui-Oui » en 1949), de sa mère et de son traumatisme lié au départ de son père après son divorce, alors qu’elle était âgée de 13 ans.
« Sa force est d’avoir d’ailleurs su garder intacte sa vision du monde arrêté à cet âge charnière », considère François Rivière.
Après des débuts comme préceptrice dans une famille de 5 petits garçons, dans le milieu ds années 20, elle avait pris coutume de leur inventer des histoires qu’elle a ensuite couchées sur le papier (au total près de 700 histoires!), tout en écrivant des articles pédagogiques. « On le sait moins, mais elle a aussi écrit beaucoup de romans d’aventures (comme « L’île de l’aventure » le premier tome de sa série), rappelle François Rivière, elle écrivait pour tous les âges, ce qui énervait beaucoup car elle colonisait littéralement les rayons des librairies! »

Dans « Le club des cinq », le maître mot est ici encore « liberté » avec un dispositif narratif basé sur le contexte des grandes vacances.
« L’auteur écrivait une littérature réaliste qui s’appuyait sur la vie des enfants. »
Il s’agissait alors d’une littérature d’évasion, la vocation première de la littérature qui a disparu de la littérature jeunesse aujourd’hui. On apprend, au contraire, à l’école l’invasion. » regrette-t-il.
L’été est le temps du loisir : cela mettait un peu de vacances dans le quotidien des enfants qui les lisait parfois pendant l’année scolaire en hiver.
Autre chose importante chez Blyton, la nourriture avec de nombreuses scènes de pique-niques préparés dans des gros paniers par les braves servantes, rarement les mères, et qui font saliver le lecteur !
Les figures de maisons sont aussi des marqueurs avec d’un côté les bonnes fermes chaleureuses où les petits héros garent leurs vélos et font le plein de bonnes choses : fraises, jambon, pain frais…
Et de l’autre côté, des maisons isolées inquiétantes.
« Dans ce décor idyllique, il suscite une imagination légèrement perverse qui se manifeste par des petites choses. Comme par exemple aussi le personnage de Claude (alter ego de Blyton), garçon manqué, toujours un peu entre deux, perspicace et qui perçoit avant les autres les mystères. » commente Thomas Clerc.

La littérature enfantine fait ainsi la part belle aux héroïnes. « On note qu’il y a beaucoup de personnages féminins qui dirigent l’intrigue comme par exemple les romans « Alice détective » d’origine américaine dont le petit ami était même nunuche. » souligne F. Rivière.
C’est aussi une fillette, que Pierre Probst a choisi et bataillé pour imposer à son éditeur, pour les aventures de Caroline. La célèbre baroudeuse en salopette rouge.
« Son indépendance est flagrante : elle conduit sa voiture, fait le tour du monde s’achète une maison de campagne avec tous ses petits compagnons, tigre, chien, chat et lionceau. Totalement hallucinante et fantasmatique pour les enfants. »
Pour finir, Martine, de toutes celles qui ont marqué les années 50-60, reste la plus mal-aimée voire détestée, huée, taxée d’ultra réactionnaire.
Avis que partagent les deux experts, Thomas Clerc et François Rivière.
Mais il ne fait pas oublier que la sage petite fille aux queues de cheval parfaites a aussi fait rêver toute une génération. A commencer par la célèbre blogueuse Garance Doré qui lui rendait même hommage dans l’un de ses billets : « Petite, je voulais être Martine. Je voulais être aussi gracieuse, immuablement parfaite, gentille et avoir une maman qui me fasse des gâteaux.
Que voulez-vous. La mienne était dans la rue à brûler ses soutien-gorge. Je passais des heures à lire et à relire les albums en frottant mes joues sur ces images sucre d’orge. C’est comme ça que j’ai commencé à dessiner. Puis cette pimbêche de Martine m’a saoulée avec son Patapouf. C’est alors que j’ai découvert le Club des 5. Je me suis immédiatement identifiée à Claudine, le garçon manqué de la bande, courageuse, frondeuse et désobéissante. Si j’avais eu un chien, je l’aurais appelé Dag’ : j’étais super fascinée. C’est en m’amusant à déchiffrer ses histoires que j’ai appris à lire avant même d’aller à l’école. »

Pour Thomas Clerc, l’influence de ces lectures d’enfant ne doivent en effet pas être sous estimée.
Elles nous donnent en effet accès à la littérature et façonnent nos goûts d’adulte.
Selon lui, il ne peut pas y avoir de coupure après cette première littérature qui prépare la suite
« Cette dimension d’imagination, cette langue chez Fantômette m’a laissé une forte empreinte, confie-t-il, qui m’a ensuite fait lire Stevenson, Sarraute ou Pessoa… »
Il souligne aussi la continuité entre littérature de série et la grande littérature comme Balzac qui avait par exemple compris très tôt le rôle excitant de la série, du retour des personnages.
« Il y a donc beaucoup de passerelles et plus de points communs qu’on le présuppose d’habitude entre littérature enfantine, de série et la littérature « sérieuse ». Ce ne sont pas deux univers radicalement différents. Comme disait Nietzsche, il y a finalement une dimension de sérieux dans l’enfance elle-même. Le Club des cinq nous apprend par exemple très bien le côté collectif de l’enfance. »

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Les livres d’enfance qui ont marqué les personnalités :
A la question, quel livre rêvez-vous d’adapter, le réalisateur François Ozon a cité :
François le bossu de la Comtesse de Ségur. « Ce livre m’avait émerveillé et aussi un peu traumatisé lorsque j’étais enfant. Depuis, je ne l’ai jamais relu et ne le ferait jamais ,car j’ai peur que cette lecture d’enfant soit détrônée par une lecture d’adulte. L’adapter restera donc pour toujours un fantasme. »

Vanessa Paradis a confié lors d’un entretien avec les Inrocks, que l’un de ses livres d’enfants favori était
Pierre et Le loup (la version de Gérard Philippe) : « Je passais beaucoup de temps chez ma grand-mère durant mon enfance, et il y avait ce vinyle…Je l’ai usé. Je l’ai fait écouter à mes enfants, mais pas au bon moment. Je me souviens que l’on des enfants en eu peur alors j’ai arrêté”.


Source, émission : http://www.franceinter.fr/emission-le-grand-bain-que-reste-il-de-fantomette-et-du-club-des-cinq (Autre livres cités : Jerome K Jerome, « Trois hommes dans un bateau », « La Petite Doritt » de Dickens, « Mon Petit Trot » de Lichtenberger André, « Les 101 dalmatiens », « Emile et les détectives »

Quels sont les meilleurs livres d’enfants d’hier et d’aujourd’hui

Les héros littéraires d’hier vus par les écrivains d’aujourd’hui (dont Peter Pan vu par Chloé Delaume)

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