« Le potentiel érotique de ma femme » de David Foenkinos : le burlesque et l’imagination contre l’usure du désir

Le potentiel érotique de ma femme, grand succès de David Foenkinos, récompensé par le prix Roger-Nimier, ce troisième roman, publié en 2004, aura été celui de sa révélation publique. Et pour cause, il parvient ici à maîtriser son style burlesque et lui donne enfin toute son ampleur. On y retrouve son univers familier peuplé de héros atypiques, aux névroses obsesionnelles inhabituelles, en proie à l’angoisse de la solitude… Il revisite ici les thèmes universels de la quête amoureuse, du couple et de l’usure du désir, sous un jour complètement inédit et ludique. Entre conte délirant, roman d’amour et d’aventures décalé et parabole sur les sentiments… Faire rire est une mission bien difficile pour un roman, privé des mimiques ou des inflexions de la voix. En général, un roman qualifié de « drôle » peut au mieux faire sourire ou amuser intérieurement mais rarement susicter de francs éclats de rire. « Le potentiel érotique de ma femme » relève pourtant le défi et parvient par sa seule narration, à faire s’esclaffer ! Une seule condition : accepter de laisser tout rationalisme au vestiaire !

« On aimait parfois d’une manière extravagante dans le douillet du quotidien, c’était peut-être aussi simple que ça. Il ne fallait pas chercher à comprendre, on gâchait trop souvent les bonheurs à les analyser.« 

Contrairement à ses romans précédents, l’auteur réussit ici à allier son talent burlesque à une histoire fluide parfaitement menée en évitant l’écueil de l’enchaînement de « sketchs ».

Comme toujours ce sont avant tout ses personnages hautement pittoresques qui donnent toute leur sève à son récit qui revisite avec originalité la rencontre amoureuse et le couple de façon plus générale. En ligne de mire : le héros Hector, vieux garçon suicidaire qui étouffe dans son existence terne, condamné à être « un bon fils » aux sourires « faisant penser à une dissection de grenouille », à son père et à sa mère aussi compréhensifs que des « annuaires téléphoniques »… Il ne trouve de sens à sa vie qu’en se réfugiant dans une étrange maladie : la collectionite aïgue d’objets les plus imporbables tels que les dictons croates, les piques appéritif, les touilleurs ou encore les pieds de lapin ou les bruits à cinq heure du matin… Cette lubie, aussi réjouissante soit-elle pour le lecteur, lui est très préjudiciable car, réalise t’-il, avec tout le bon sens qui lui reste : « On ne fait pas sa vie avec un pique appéritif ! »

« (…) Il avait essayé de se soigner, de s’empêcher de commencer une collection, de se sevrer ; rien à faire, c’était plus fort que lui, il ressentait un coup de foudre pour une chose et éprouvait un besoin irrépressible de l’accumuler. Il avait lu des livres ; tous racontaient la possibilité de refouler ou d’exorciser une peur de l’abandon.« 

Après bien des tentatives de décrocher (dont des « réunions de collectionneurs anonymes » hilarantes !), il finira par croiser la femme de sa vie. Et découvre alors enfin le bonheur et l’apaisement jusqu’à ce son obsession le rattrape et qu’il se mette à collectionner les gestes sensuels de sa femme (qui contre toute attente adviennent lorsqu’elle nettoie les vitres !). Le drame guette…

Toute la richesse de cette histoire réside dans les multiples trouvailles de l’auteur jamais à court d’inventivité pour nous entraîner dans une situation plus insolite que la précédente. Et ça fonctionne : on se laisse prendre au jeu… sans pouvoir bien longtemps réprimer l’éclat de rire devant les déboires de ce pauvre Hector et de son entourage haut en couleurs.
Car le premier talent de Foenkinos réside dans l’art de camper ses personnages, à les polir jusque dans leurs moindres détails de ridicule ou de pathétisme avant de les projeter, avec le plus grand sérieux, dans les situations les plus loufoques/farfelus qu’il soit avant de les observer se débattre avec une ironie tendre. D’une petite parenthèse sournoise au grossissement d’une caractéristique en particulier en passant par le détournement, il leur donne une dimension inattendue voire surréaliste sans qu’ils ne perdent rien de leur crédibilité et de leur pouvoir d’attachement !
A ce sujet l’auteur expliquait qu’il écrit « des romans surréalistes et absurdes, où la psychologie des personnages est forcément « molle ». Elle glisse, elle dérape. C’est le potentiel comique du personnage. Il fait l’opposé de ce que l’on pouvait imaginer. »

Les parents d’Hector méritent à ce titre un des césars des meilleurs seconds rôles dans la catégorie « pitoyables et jubilatoires ». Le père pourrait se résumer par sa « moustache » (« il y avait du réfléchi dans sa moustache, presque unnacte de propagande ») et la mère par « la soupe » dont la confection est l’une des préoccupations majeures de sa vie. Le tout servi sur une « toile cirée » (« où les miettes s’y sentent bien » !) avec en fond sonore le tic tac de l’horloge « bruit d’une lourdeur terrifante, et dont la précision due à la précision du temps pouvait rendre fou. C’était ce mouvement qui poncutait les visites. Ce mouvement lourd du temps, et la toile cirée. » Sans oublier leur fils, frère aîné d’Hector, « champion quasi-olympique du bonheur » et roi du « Il faut bien s’aider entre frères » marié à une joueuse de ping-pong et accessoirement nymphomane… et surtout son beau-frère, vainqueur mythomane de la course à vélo de Ouarzazate-Casablanca (ne cherchez pas, elle sort tout droit de l’imagination sadique de l’auteur : « C’était une stupidité comme une autre », précise-t’-il).
Côté situations, on n’est pas en reste non plus avec par ordre de préférence la finale du « championnat de badges » où les collectionneurs maniaques rivalisent avec leur pin’s « Nixon is the best », les mesures hilarantes pour « décrocher » de la collectionnite et surtout les fameuses réunions de collectionneurs anonymes (où l’on trouve notamment un collectionneur de moments debout qui ne peut par conséquent s’asseoir avec les autres membres…), l’ouverture de son « agence de voyage pour mythomanes » et bien sûr ses stratagèmes pour faire nettoyer les vitres à sa femme sans qu’elle se doute de sa nouvelle rechute… Mention toute particulière à la scène de séquestration dans la cave d’Hector par son beau frère sous l’oeil bienveillant d’un poster du silence des agneaux (leur première rencontre avec « les mains derrière le dos » vaut aussi son pesant d’or) !

L’auteur détourne avec jubilation tous les codes et clichés pour les transformer en une matière ludico-poétique où la dérision affleure en permanence, sous le masque d’une fausse naïveté. Sans oublier ses associations d’idées (Hector, juste en observant Brigitte prenait de l’assurance. Il se sentait éviden comme une limousine à la sortie des aéroports. ») ou théories diverses et variées qui valent à elles seules le détour : « Les familles cachent toujours des adultères dans les caves, ce sont les Juifs de l’amour. » ou encore « Le plaisir sensuel est une science physique dont chacun possède son propre Einstein. » ou encore « le plaisir satisfait avait toujours cette couleur venimeuse des ères collaborationistes. »
De quoi contracter la collectionnite des trouvailles foenkinosiennes !

Cette belle verve comique s’accompagne néanmoins de moments plus sensibles voire émouvants comme l’hymne à la femme et l’union charnelle que l’auteur rend à sa façon.
« C’est par le corps de l’autre qu’on devient innocent… C’est par le corps de sa femme qu’Hector connaît l’apothéose de la jouissance« , écrit-il avant de se lancer dans des descriptions presque lyriques de scènes d’amour comme leur première fois : « Il avait peur que leurs corps ne soient pas à la hauteur de leur rencontre.. Il restait devant cette fenêtre, un instant, un instant qui devenait assez long, un instant qui n’était plus vraiment un instant mais l’esquisse d’une éternité. Derrière lui, il y avait le corps d’une femme qui n’était plus caché par rien. Hector avait entendu le bruit des vêtements féminins évanouis sur le sol, ce bruit de rien qui jusitife les oreilles des hommes. » Brigitte était nue sous le drap ; Hector souleva les draps. Devant la beauté de cet instant, il s’effondra tout en restant droit ; sa colonne vertébrale glissait vers ses pieds. Face à l’émotion, Hector était une chair sans fondation. » Et bien sûr la scène mythique où Hector a le coup de foudre pour sa femme nettoyant les vitres sur son escabeau avec le premier mollet sur la marche supérieure, « d’une rondeur sans faille alors que le second demmeure marqué par la nervure de l’effort. L’un est naïf, l’autre sait. »

Bref vous l’aurez compris, « Le potentiel érotique de ma femme » est un roman unique en son genre pétillant, imaginatif, délirant et vibre au son d’une petite musique tendrement ironique qui parfois s’emballe sur des rythmes plus fous. Sa plume s’amuse avant tout et saisit la moindre occasion pour prendre la tangente comme en témoigne les notes de bas de page futiles qui apparaissent à l’occasion ou encore des pages entières en forme de vaste « parenthèse » qui zoome sur un personnage ou un sujet en particulier.

Oscillant aux frontières d’un absurde onirique, il ne s’essouffle pas même si certains lui ont reproché son démarrage trop lent et trop bavard (mais qui ravira les amateurs de descriptions cocasses) ou encore ont été déroutés par l’humour parfois un peu lourd de l’auteur (certains jeux de mots auraient en effet pu sans doute être évités).

Comme toujours les interprétations de lecteurs ont fusé pour tenter de décrypter la symbolique derrière cette fable moderne fantaisiste. Mais y’en a t’il vraiment une ? C’est tout d’abord la réflexion sur la longévité des sentiments, du désir, la fidélité ou encore la misère affective qui ressort assez nettement de cette lecture.
La collectionnite résultant souvent de l’angoisse du vide existentiel comblé par l’accumulation matérielle (on pourrait aussi y voir une parabole sur notre société de consommation à outrance) qui devient une sorte de “nourriture fantasmatique”.
Ensuite bien sûr vient le sujet majeur du désir érotique et de son érosion contre lequel l’auteur brandit l’imagination et l’anticonformisme comme meilleures antidotes ! Il déclare à se sujet qu’il a surtout voulu dénoncer « la dictature de la sensualité ». Il s’interroge aussi de façon plus générale sur l’art d’être heureux et d’atteindre le bonheur qui n’est finalement qu’une question d’état d’esprit.

En filigrane, on peut aussi y lire une critique sur notre société des apparences et de faux-semblants où tout n’est basé que sur les « considérations d’autrui ». L’agence de voyage pour mythomanes en est le plus beau fleuron !

Mais pour finir, ne pourrait-on pas se demander si finalement David Foenkinos n’aurait pas réussi à faire passer pour drôle et décalée une histoire, qui sous couvert de « sensualité » et de « collectionnite », n’est qu’une propagande machiste pour cantonner les femmes (« objet ») aux tâches ménagères parce que cela les rend sexy ?! 🙂

1 Commentaire

  1. Article dense et riche. Ce livre est le premier que j’ai lu de cet auteur. Je ne connaissais pas la couverture polonaise… J’apprécie beaucoup ses petites phrases, ses jeux de mots, ses aphorismes. Le livre qui me semble le plus singulier est ENTRE LES OREILLES. EN CAS DE BONHEUR est plus douloureux…

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