« Anthologie des apparitions » de Simon Liberati en poche : Ivre de la jeunesse et des nuits troubles perdues…

A chaque rentrée littéraire, son phénomène d’édition. Simon Liberati fut celui de septembre 2004 avec son premier roman au titre envoûtant : « Anthologie des apparitions », publié à l’âge de 44 ans et actuellement vendu à près de 20 000 exemplaires. « Poulain » de Frédéric Beigbeder alors éditeur chez Flammarion, cet ancien journaliste (pour FHM et 20 ans) a été acclamé par une partie de la critique comme nouveau roman culte sur la grâce et la destruction adolescente au « désanchantement enchanteur », « possèdant l’éclat des futurs petits classiques », « le roman ourlé d’un moraliste » selon Libération, et accusé d’autre part de n’être qu’un roman parisianiste branché de plus dans la veine trash-bourgeoise-nihiliste (dont Alain Soral aurait rewrité plusieurs pages). Faut-il ou non lire Simon Liberati ? C’est l’occasion de vous faire une opinion puisque le roman vient de sortir en poche (J’ai lu – « Nouvelle génération »)…

« Ce livre contient l’apologie de la jeunesse en tant que perte d’innocence, c’est à dire prise de conscience de sa propre valeur d’échange, de la beauté en ce qu’elle porte, au désintérêt, la paresse, et au mépris de tout mérite, et plus généralement de la faiblesse, de la grâce et du manque d’appétit de ceux qui se savent convoités. » S.Liberati

A la terrasse d’un café de la porte des Lilas, nous plongeons dans les souvenirs de Claude, un quadragénaire, sorte de clochard céleste parisien et archange déchu aux accents matzneffiens, lisant L’Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales. Par réminiscence, apparaissent au fil des pages, les fantômes -désormais mortes ou vieillies- de son passé, de sa jeunesse…

Retour dans les années 70/80, époque sulfureuse et légère, où du haut de ses 16 ans androgyne, il naviguait de boîtes branchées à l’Elysée-Matignon en soirées tropéziennes ou à Ibiza et se livrait à leurs plaisirs interdits (sexe, alcool, drogue…) mais aussi à leurs ogres, avec sa petite soeur Marina « sortant à demi-nue à 15 ans, titubante sur ses chaussures à talon de 12 centimètres » et ses jeunes amies toute aussi Lolita. C’est lui qui les entraînera toujours plus loin dans cet enfer du commerce de leurs corps et des apparences (échangisme, inceste…), allant jusqu’à sacrifier sa propre cadette dans ce « demi-monde », par insouciance ou égoïsme ? Il se demandait :  » Pourquoi la protéger alors qu’une faiblesse aussi stupéfiante constituait l’essentiel de sa grâce ? (…) Si l’on n’est pas capable de se déshonorer, c’est qu’on accorde de la valeur aux choses de ce monde. Or il n’y a que le respect de Dieu qui puisse justifier le fait d’avoir égard à de pareilles choses, mais Dieu était mort pour ces enfants-là. »

Une bande d’adolescents à la vie dissolue (« Leurs journées commençaient vers 15 heures et se terminaient rarement avant 8 heures du matin« ) et à la beauté du diable, abandonnés et paumés dans la vie : « Des gens aussi déplacés dans ce paysage que les banquettes de velours tâchées que l’on voit traîner en plein jour sur les trottoirs quand les bars de nuit sont rénovés« , décrit-il. Des dérives glauques et flamboyantes dans une nuit pas toujours tendre avec ces jeunes âmes qui y brûleront leur innocence et se laisseront happer par « le paresseux désespoir, le conformisme pervers et les solides chaînes du libertinage ».

Un quart de siècle après, Marina a disparu et n’a plus donné de ses nouvelles depuis 1987. Claude, vieil adolescent âpre vivant avec Ali, épave bisexuelle dans un miteux studio parisien après son mariage raté avec une call-girl, n’a plus que ses souvenirs, vestiges des nuits sauvages d’antan et une vie comme un crépuscule de trop. C’est peut-être le crépuscule qui l’affectionne tant, qui résume d’ailleurs bien son existence : « Lorsque la température le permettait, Claude regardait le crépuscule accomplir lentement son travail. C’était d’abord le premier plan qui était noyé dans l’ombre alors que l’horizon restait vivant, puis, comme une fumée soufflée par un grand diable, la mélancolique atmosphère s’étendait à l’ensemble du monde visible, ne laissant plus subsister qu’une ligne jaune là où la terre rejoint le ciel. »

Dans cette poignante et vertigineuse anthologie, Simon Liberati décrit avec ironie, précision et nostalgie ces destins brisés et les innocences broyées d’une jeunesse fulgurante dont l’état de grâce éphèmère les aura aveuglé au point de se consumer corps et âme dans ce feu hédoniste et libertaire. Montrant que le seul pouvoir supérieur à l’argent est celui de la beauté, irrésistible mais éclair…
Entre Hubert Selby, Houellebecq et Gabriel Matzneff, le ténébreux écrivain explore avec une élégance vaporeuse l’instant où la grâce disparaît et où la lumière cruelle des petits matins rattrape même les papillons de nuit…

Et comme un étrange écho au début du roman où le narrateur lit Saint François de Sales, on peut méditer sur ses propos au sujet de la dévotion : « Vous savez que c’est une vertu extrêmement agréable à la divine majesté : mais, d’autant que les petites fautes que l’on commet au commencement des affaires s’agrandissent infiniment au progrès et sont presque irréparables, il faut avant toutes choses que vous sachiez ce que c’est que la vertu de dévotion ; car, d’autant qu’il n’y en a qu’une vraie, et qu’il y en a une quantité de fausses et vaines, si vous ne connaissiez quelle est la vraie, vous pourriez vous tromper et vous amuser à suivre quelque dévotion impertinente et superstitieuse. » Mystique…

14 Commentaires

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  1. C’est incroyable, ça me renvoie au bouquin de Christiane F., et jusqu’à la couverture du livre, on dirait une photo de Babs, une jeune droguée qui avait bien connu Christiane F. et qui était morte d’une overdose.
    Je dis tout ça de mémoire, car ado, j’ai lu le bouquin plusieurs fois.

  2. J’ai l’impression que ce genre de livre a déjà été écris et réécris par d’autres. Les livres sur la jeunesse décadente, il y en a un rayon…

    Dans le genre "roman raté", je conseile le skyblog:
    huggo.skyblog.com
    Pour se faire de la pub, l’auteur avait fait croire que c’est Beigbedder qui tenaît ce blog incognito! C’est soi-dsisant un récit autobiographique et l’auteur n’a visiblement aucun complexe (il a même déjà choisi quels acteurs hollywoodiens interpreteraient la version ciné)! J’ai écris sur mon propre blog (joest.skyblog.com ) un post moqueur et ses fans m’ont envoyé plein de commentaires haineux!
    Bref, du pur style wanabee. A lire au second, voir au troisième degré.

  3. Oui Nathalie, il semble en effet que certains lecteurs aient opéré ce rapprochement pour l’aspect déchéance d’adolescent drogue et prostitution.

    Oui Joest c’est vrai que la décadence et la déchéance adolescente sont des sujets qui inspirent de nombreux auteurs, de toutes les époques… et qui fascinent de nombreux lecteurs. Pourquoi ? (je conseille aussi le roman de Kathy Acker, très troublant et passionnant : Sang et stupre au lycée)

    En ce qui concerne le blog de "Hugo" : pitié !!!! Il a déjà laissé une ribambelle de posts ici pour faire sa pub en essayant de se faire passer pour Beigbeder (avec un style plus proche de Oui-Oui). Bref à oublier… 😉

  4. Je vais lire ce livre, d’autant qu’il est dispo en poche.

  5. …je viens de le finir et j’y ai vraiment trouvé des belles phrases…

  6. Bonne lecture alors Nathalie ! Tu me donneras tes impresssions. D’après la rédactrice de la chronique ci-dessus, c’est un livre qui se lit d’un trait, pétri d’ambiguités…

    Mat, toujours le premier sur les bons livres, quelles sont donc ses belles phrases que tu as aimées ??

    • L'oeil de la vérité sur 22 octobre 2006 à 18 h 32 min
    • Répondre

    BEIGBEDER CORRIGE PAR ALAIN SORAL!
    A cause Simon Liberati
    Sur le site suivant:
    http://www.lorgane.com/index.php...
    Ou ci-dessous:
    Simon Liberati, personne le connaît, rassurez-vous, c’est normal: journaliste à FHM et en douce à 20ans, il a pondu un roman très remarqué à la rentrée littéraire 2004. Malheureusement, il a commis une erreur terrible: il a demandé à Alain Soral de corriger son manuscrit…

    La petite cuisine de l’édition parisienne…
    Le roman "Anthologie des apparitions", du journaliste Simon Liberati (collaborateur régulier à FHM et en douce à 20ans), n’aurait pas dû sortir chez Flammarion, mais chez Lattès. Malgré un manuscrit refusé par Philippe Sollers et Raphaël Sorin, qui n’y voient qu’un sous-Michel Houellebecq de plus. C’est pourquoi Simon, ayant appartenu au Collectif communiste des travailleurs des média (fédération de Paris, animée par Cohen et Soral), fait appel à son camarade Alain pour corriger son texte, jugé trop faible. Ponctuation glandilleuse, faiblesses de style, trous dans le récit sont passés en revue à deux pendant 8 jours, dans la maison de campagne de Simon.
    Le manuscrit version 2 enfin terminé, Soral le fait parvenir à Flammarion, plus susceptible de pénétrer le grand public, via Stéphane Million, de la revue Bordel. Beigbeder, séduit, accepte de le publier. Mais Liberati ne lui raconte pas l’épisode de "l’amélioration". Du coup, lorsque Soral demande à Beigbeder "en remerciement" une petite promo pour son propre livre aux éditions Blanche ("Misères du désir"), l’ex-animateur de l’Hypershow s’exécute de mauvaise grâce. Cela donnera, dans l’hebdomadaire Voici de fin juin, "5 raisons de plaindre Alain Soral". On ne doit rien quémander à Capitaine Flamm’.
    Pas vraiment le coup de pouce attendu. Conséquence, le colérique écrivain, et pour cause, il est blacklisté de partout, invité deux mois après à la soirée de la revue Bordel par Stéphane Million, retrouve Beigbeder et… le gifle en public, en plein Hustler Club (là où des filles qu’on ne connaît même pas se déshabillent).
    Tragique méprise! Le directeur de collection de chez Flammarion n’est pas au courant de l’entourloupe de son nouveau poulain Liberati, qui se garde bien de médiatiser la honteuse séance de réécriture. Les mauvaises langues se délient déjà:"Si on ne sait pas pourquoi on gifle Beigbeder, ce dernier lui, le sait."
    Au final, le roman de Liberati se retrouve dans les bonnes surprises de la rentrée, voir ses critiques côté Nouvel Obs et Libé. On pressent pour lui le Médicis, alors qu’il a été entièrement réécrit par le sulfureux Alain Soral. D’ailleurs, la version 1 (dite désoralisée) commence à circuler chez les médisants. L’hebdo et le quotidien, ennemis politiques du Soral (il a perdu son procès contre Libé), qu’ils tiennent pour un adepte du "white trash", disant du bien d’un livre entièrement par lui réécrit… On ne peut plus faire confiance à personne!
    Heureusement, et cela consolera Sorin et Sollers, qui passent pour de mauvais renifleurs de talents, le magazine "Complément d’enquête" de Benoît Duquesne dresse un portrait de Soral en éminence diabolique antisémite du comique Dieudonné (lundi 20/9 France2 23h05). Miserati respire. Rétroactivement, il a eu politiquement raison de trahir son camarade, mais la prochaine fois, il faudra éviter de travailler avec le diable…
    Interrogé par Jean Rouzaud sur Nova le 20/9 à 18h20, Simon aura droit à une droite et une gauche:"Ce roman interlope est génial", juste après avoir rappelé les "bons conseils d’Alain Soral". Il en perdra la voix. Adieu, Simon.

    Lundi 20 Septembre 2004
    Peugeot Matignon

  7. C’est vrai que "Misère du desir" avait de sales relants d’antisémitisme. Et depuis, je ne lis plus Soral, alors que j’avais adoré sa "Sociologie du dragueur".

    Ensuite, le fait que quelqu’un se soit fait réécrire son livre par un autre, ce n’est pas nouveau. C’est une pratique ignoble, mais arrêtons de jouer les vierges éffarouchées.

  8. Oui en effet comme le dit à juste titre Joest, la relecture-correction est courante sur bon nombre de romans qu’il s’agisse d’un relecteur connu, écrivain lui-même ou d’un professionnel dans la maison d’édition. C’est un travail rémunéré il me semble. Par souci d’honnêteté, l’auteur peut dévoiler son nom ou pas.

    En l’occurence, "L’oeil de la vérité", cette info (je ne sais pas si elle a été confirmée ou s’il s’agit d’une rumeur ?)a été précisée dans le chapeau de la critique.
    En tout cas cet éventuel duo Soral/Liberati fonctionne plutôt bien a priori.

    • PhJ sur 27 octobre 2006 à 12 h 12 min
    • Répondre

    D’une part, "entièrement ré-écrit" en huit jours, ça ferait de Soral un vrai monstre, d’autre part, oui, tous les manuscrits sont "corrigés", d’une manière ou d’une autre, par quelqu’un d’autre que l’auteur.

    • Mylene sur 18 novembre 2006 à 21 h 13 min
    • Répondre

    Je viens de finir l’Anthologie de Liberati, qui se lit comme sous l’effet des substances si souvent désignées dans le bouquin et impossible de dire si j’ai aimé ou pas, mis à part que je ne pouvais pas le lâcher.
    Il est vrai qu’ayant le même âge que l’auteur, je me suis souvenue à cette lecture, que le hasard m’avait envoyée un soir de mon adolescence dans telle boite de nuit ou un autre de la même époque, sur la côte d’azur et que ce qui m’y avait frappée à l’époque, c’était la facilité avec laquelle des tas de "vieux" souvent orientaux & rentiers, de la trentaine à la cinquantaine bien sonnées, m’abordaient gentiment pour proposer toutes sortes de choses affolo-excitantes pour une gamine – comme un lift, un resto, un déjeuner le jour, une promenade sur la plage le soir, une virée nocturne sur un yacht (par un "émir"), un week-end dans l’arrière-pays, jusqu’au RV par le gras chanteur Carlos (eh ouai !), proposition aberrante à mes yeux d’alors, de le rejoindre pour prendre le petit-déjeuner dans sa chambre du Martinez à Cannes, moi et moi seule, alors qu’une floppée de filles encore plus mineures que moi, le suppliaient mi-souriantes, mi-hurlantes pour jouir du même honneur – et elles avaient crié, et il avait ri quand je lui avais demandé son nom à lui après lui avoir donné le mien. Je disais à mes copines d’alors qu’on pouvait passer son été entièrement à l’oeil et dans le luxe, alors que j’avais passé le mien à répondre gentiment Non, et tout mon plaisir avec résidé dans l’étonnement et la flatterie que j’en avais tirés à chaque fois. Il faut dire que je n’avais pas de grand frère.
    Bref, outre quelques fautes de syntaxe, l’intérêt du bouquin se trouve d’abord dans le fait qu’il n’est certainement pas tout à fait inventé puisqu’il m’a rappelé ma jeunesse et celle qui m’avait effleurée, ensuite dans le portrait toujours cruel d’une décadence lucide dont l’odeur du soufre attire et qu’évidemment toutes les époques ont connue, et enfin dans un style narratif qui se regarde raconter en puisant au mieux dans la confiture de sa culture étalée sur une baguette serpentine hypnotisante.
    Allez, on va dire que j’ai aimé – mais c’est très perso.
    Ah ! on dit aussi que Soral aurait participé à la relecture du bouquin ? Alors, ça ne sent plus tout à fait le soufre mais mauvais..
    Mylene

    • Lilo sur 7 février 2007 à 18 h 40 min
    • Répondre

    Il est juste malsain ce bouquin. J’aime christiane f, j’aime paris à la fin des seventies et la période palace et autres, mais j’aime pas l’histoire de liberati. vécue ou pas elle est trop glauque. Mylene, tout le monde s’est fait brancher par carlos! Ah la la, bandes de débutants avides de caniveaux….

    • Teddy sur 8 octobre 2008 à 3 h 28 min
    • Répondre

    Mylene en quoi le site l’organe est fiable… il suffit de lire quelques articles de cette m…. pour s’en rentre compte.

    • exequatur sur 13 avril 2009 à 23 h 13 min
    • Répondre

    Après un commentaire tardif sur le 1er livre de Simon Liberati rédigé à la hâte hier, j’ai relu en ce lundi 13 avril 2009: anthologie des apparitions. C’est une oeuvre qui se suffit à elle même. L’auteur a une réelle consistance stylistique. Pour l’avoir fréquenté dans les années 80, la dimension Wildienne de Liberati le met à à l’abri de toute assimilation avec Matzneff. Enfin, quand un auteur suscite quelques lignes critiques de ses aînés, c’est généralement prometteur.

    Pascal Rolland

    Avocat à la Cour

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