« There is something about fashion that can make people very nervous. » (A.Wintour) : comme en littérature non ?

En cette rentrée, si j’ai un peu boudé les livres de la rentrée littéraire, j’attendais en revanche avec grande impatience la sortie de "The september issue", docufiction sur la grande prêtresse de la mode américaine, Anna Wintour, directrice du Vogue américain, par R.J Cutler. On dit d’elle qu’elle fait et défait les modes… et l’on redoute surtout son caractère aussi volcanique qu »intransigeant, inspirant autant la terreur que l’admiration.

Bref un "personnage", au sens romanesque du terme, une vraie héroïne qui n’aura pas manqué d’inspirer l’imagination de l’une de ses anciennes assistantes, devenue grâce à elle, écrivain à succès : Lauren Weisberger et son désormais roman culte "Le diable s’habille en Prada".

Je tiens ici à ouvrir une petite parenthèse sur ce livre que j’ai lu sur le tard, avec bon nombre de préjugés et qui au final s’est avéré un très bon roman (dans son genre, qui n’est pas de la chick lit" selon moi). Une belle satire de moeurs aux multiples facettes dans la veine d’un "Stupeur et tremblement" d’Amélie Nothomb (pour plus d’infos : voir notre chronique commune que nous avions pris un vif plaisir à réaliser !). Outre cette plongée au vitriol dans l’univers de la mode, elle dénonce aussi les difficultés de la jeune génération à s’insérer professionnellement et le décalage entre le monde du travail et universitaire.

Sans nourrir d’intérêt particulier pour l’univers de la mode, j’étais néanmoins très curieuse de visionner le portrait de cette femme d’acier. Comme pour le biopic sur Coco Chanel, c’est en effet la personnalité de cette femme qui m’intéressait ici : la femme de pouvoir qui a su rester au sommet et imposer sa discipline de fer à son entourage.
Bien sûr la première question que j’avais en tête était de savoir si elle était aussi "diabolique" qu’elle l’est dans le roman !
De nombreux passages me revenaient ainsi en tête : "J’avais fini par comprendre que ses "amis" se répartissaient en deux catégories seulement. Dans l’une figuraient ceux qui, selon sa perception des choses, lui étaient "supérieurs" et qu’il fallait impressionner. Cette liste-là n’était pas bien longue (…). Et puis il y a ceux qu’elle considère comme ses "inférieurs", qui ne méritaient que de la condescendance, et qu’il fallait rabaisser afin qu’ils n’oublient jamais quelle était leur place. Dans cette catégorie entraient en vrac tous les autres habitants de la planète…"
ou encore ces scènes où elle harcèle ses assistantes au téléphone, multiplie les caprices de diva ou les traite comme des pailliassons : "Oh oui (…) j’ai une chance folle. Tenez, je me faisais justement cette réflexion quand hier ma patronne m’a envoyée lui acheter des tampons, et m’a ensuite hurlé dessus parce que je n’avais pas choisi les bons. Quant à porter au pressing tous les matins, des vêtements tâchés de transpiration et de graisse qui ne m’appartiennent pas… Si ce n’est pas de la chance !"
(à noter qu’Anna Wintour a eu l’intelligence de ne jamais réagir ou commenter cet ouvrage, -régle n°1 : ne jamais se justifier et laisser les gens parler- ce qui n’a fait qu’entretenir encore sa légende, pas bête la guêpe !)

Bien entendu, le documentaire ne laisse pas du tout filtrer cette image, savamment maîtrisée et contrôlée tout du long. Nous ne sommes pas dans une émission de Strip-tease autrement plus spontanée et naturelle et donc révélatrice 🙂
Non ici, on sent qu’Anna a soigneusement  pré-visualié et validé chaque plan, chaque mot soigneusement choisi et économe, comme lorsqu’elle se penche sur sa table de montage pour décider des photos qui auront l’immense privilège d’être publiées dans "Son" magazine.
Déchirant au passage le coeur des photographes, mannequins et de sa fidèle collaboratrice et directrice adjointe, Grace (que l’on voit peut-être un peu trop dans le documentaire à son détriment). Un peu comme ses empereurs romains qui d’un mouvement de pouce décidaient de la vie ou de la mort des gladiateurs.
Oui, Anna Wintour tient très bien son rôle d’impératrice, de reine glacée, avec sa coupe au carré stricte, ses lunettes noires qu’elle garde même au bureau, sirotant son gobelet Starbucks, ses lèvres pincées en une moue moqueuse ou incendiaire, et ses bras croisés repliés sur son buste.
Une esthétique à elle toute seule avec ses codes et ses attitudes. Une icône comme on dit.
Fascinante donc.
Ici elle apparaît néanmoins plus mesurée que la sadique "Miranda" dépeinte par Lauren Weisberger.
Distante, froide, sèche mais néanmoins juste, du moins c’est ce qu’elle laisse transparaître.
Ses jugements, toujours très laconiques, tombent comme des couperets, désolant les couturiers ou ses collaborateurs, même s’ils lui reconnaissent tous son oeil et son avant-gardisme.
J’ai aimé cette espèce de froideur, ce mystère, ce côté "bitch" aux accents snob mais toujours avec classe et retenue (« Wait, it’s Vogue…« ), qu’elle conserve en permanence et qui lui a sans doute permis de durer dans ce monde volatile et superficiel, un peu fou voire hystérique…
"There is something about fashion that can make people very nervous. ", glisse-t-elle en préambule du film. Je crois que l’on pourrait reprendre cette phrase en remplaçant "fashion" par "litterature" 🙂

Have a beautiful september !

[Alexandra pour Café livres/L’Express.fr]

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