Fanfan d’Alexandre Jardin: « La passion expire quand l’espérance est morte »

Publié en 1990, Fanfanest le 3e roman d’Alexandre Jardin, écrivain précoce qui n’avait alors que 25 ans. Tout juste auréolé du prix du premier roman pour « Bille en tête » et jeune diplômé de sciences-po, il est finalement l’un des précurseurs non avoués de ces héros bobos à mi chemin entre Peter-Pan et le prince charmant, qui ont ensuite fleuri dans les romans de Florian Zeller, David Foenkinos, Nicolas Rey ou encore Frédéric Beigbeder qui publiait la même année que Fanfan, ses mémoires d’un jeune-homme dérangé (7 ans plus tard il écrit « L’amour dure 3 ans », également sur le thème de l’usure inéluctable des sentiments). Un romantisme moderne qui lui aura valu le succès mais aussi bon nombre de sarcasmes. Moqué pour sa « mièvrerie », son style « mielleux » ou encore « prétentieux », il est aussi plébiscité pour son inventivité et l’humour de ce conte d’amour contemporain, emprunt d’autoficton (notamment sur ses études et milieu familial). Retour sur son roman phare à l’occasion de la sortie de la suite « Quinze ans après » :

« Fanfan était le nom de mon tourment. Je ne pouvais ni l’aimer librement ni en aimer une autre, ni me passer de l’aimer. »

Alexandre Crusoé est un jeune étudiant de 20 ans issu d’une famille aisée d’écrivain et de cinéaste. Traumatisé par les mœurs libertines de ses parents, « terrorisé par leur inconstance », il se fait le serment d’aimer, au contraire, la même femme toute sa vie. « Je voulais désespérément croire en l’éternité des mouvements du cœur, au triomphe de l’amour sur les atteintes du temps. Il y avait en moi un jeune-homme romantique qui aurait souhaité n’éprouver que des sentiments inusables, un jeune-homme qui vomissait les mœurs de ses parents. » Même si sa concupiscence de jeune-homme vient quelque peu contrarier ce vœu pieu.
C’est finalement avec Laure de Chantebise, jeune bourgeoise traditionaliste, éprise d’engagement, qu’il se résolut à « s’ensevelir dans leur amour jusqu’à la mort ». C’était sans compter avec sa rencontre étourdissante avec la belle et gironde Fanfan, « cette ambassadrice de toutes les libertés, cette jeune-femme qui considérait la vie comme des grandes vacances. »… Il réalise qu’elle est la femme de sa vie.
Mais comment être certain que la passion qu’il lui porte garde la même ferveur toute sa vie ? Comment empêcher l’enchantement de passer et ne jamais connaître les platitudes du couple ? « Les vertiges d’une passion inaltérable me tentaient »
Pour résoudre ce dilemme, il se lance un incroyable défi : celui de vivre une histoire d’amour avec elle… à son insu !
Quel sera l’aboutissement de cette lutte intime ?, tel est l’enjeu de ce roman iconoclaste.

« J’avais du mal à croire qu’un couple puisse échapper à ce dilemme : se séparer ou se fossiliser. »

En digne descendant de Robinson, il en fait une véritable aventure. Au programme : amour platonique, mises en scène romantiques et stratagèmes divers et variés… « Intouchable, Fanfan était presque plus désirable. »
Malgré la minceur du prétexte romanesque (ne pas consommer la passion pour la faire durer) qui conduit inévitablement à des redondances, l’auteur parvient à développer son histoire en instaurant un certain crescendo, notamment dans la folie de son personnage qui n’hésite pas à pousser jusqu’à la dernière extrémité sa logique. Improvisant un bal dans le Vienne du XIXe siècle, se ruinant jusqu’à relier son studio à celui de Fanfan façon loft story (d’avant l’heure !). Ou l’art de vivre « le quotidien sans le quotidien »…
Ce qui le place dans bon nombre de situations délicates et plutôt amusantes pour le lecteur (lectrice surtout dira-t-on dans le cas d’Alexandre Jardin !). « Mon conformisme craquait et laissait apparaître l’énergumène excessif et passionné qui sommeillait en moi, celui qui m’a toujours inquiété. » Et à force de vouloir faire de sa vie un roman, il finira par devenir personnage de fiction à part entière…

Citant Musset et Shakespeare (et en exergue cette phrase de Molière (Dom Juan) « Les commencements ont des charmes inexprimables »), le héros se plait à jouer au prince charmant chevaleresque, avivant chaque fois davantage les sentiments de sa dulcinée. Il livre ainsi un hommage aux préludes amoureux : « Il fait si beau quand on attend encore la lettre libératrice et l’instant où on la décachète est plein de promesses que la vie a du mal à tenir, tant il est vrai que les perspectives de félicité sans fin relèvent du trompe-l’œil. » (rappelant le récent roman « Le voyage d’hiver » d’Amélie Nothomb). Et pose aussi la question de la définition de l’infidélité, physique ou morale… « Il me fallait satisfaire à la fois ma soif de vertiges et mon besoin d’une vie réglée », explique-t-il pour justifier le maintien de son projet de mariage avec Laure tout en faisant la cour à Fanfan.


Sophie Marceau et Vincent Pérez dans le film « Fanfan » adapté par Alexandre Jardin lui-même, sorti en 1993.

Ce faisant, il parsème ses péripéties de détails cocasses, notamment sa galerie de personnages secondaires comme le vieux Mr Ti et sa compagne Maude, qui tiennent un petit hôtel en Normandie « Ker Emma » et qui lui présentent Fanfan, et surtout la famille Chantebise, vieille France et bourrée de préjugés incarnant le couple perclus de routine et « fossilisé ».

C’est aussi le portrait attachant d’un jeune-homme qui refuse la société conformiste, le « modèle bourgeois » du couple : « Le jour de mon entrée à Sciences-po, je m’étais senti surveillé par l’œil de mon futur biographe. Deux mois après, je m’étais aperçu avec tristesse que ma conception de la politique était très littéraire et que cet établissement ne préparait qu’à des carrières et non à des trajectoires fabuleuses. Cette désillusion avait fortifié mon intention d’introduire du roman dans mon quotidien. »
Un adulescent romantique et idéaliste : « Je ne connais pas de plus grand vertige que de parvenir à réduire l’écart qui nous sépare de nos désirs d’enfant. Petit garçon, je n’avais pas de goût pour les automobiles ou pour les panoplies de cow-boys. Seul l’amour me grisait. Dés l’âge de raison, mon cœur a gouverné mes actes. Je ne me rendais à l’école que mû par l’inclination que j’éprouvais pour une camarade de classe ; et lorsqu’il n’y avait aucune gamine à aimer dans la cour de récréation, je séchais. Mes amis pratiquaient des sports avec ferveur, vouaient leurs dimanches à des hobbies, moi je faisais la cour. Seules les filles me permettaient d’échapper à la réalité. »

S’il est vrai que sa prose verse parfois dans le ridicule précieux (notamment ses périphrases comme « me soustraire à l’exigence de mes reins , « museler ma concupiscence » ou encore certains jeux de mots, clichés un peu poussifs…), l’ensemble reste enlevé, vivant et alerte. On regrettera néanmoins une fin très convenue, décevante au regard de l’inventivité du reste de l’histoire. [Alexandra Galakof]

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Extrait choisi :
« Elle s’avança vers le miroir sans tain et retira lentement sa chemise de nuit. (…) Je m’approchai de la glace ; elle-aussi comme si elle avait deviné mes mouvements. J’ôtai ma chemise. Nos corps se touchèrent. J’achevai de me déshabiller. Nous fûmes alors nus l’un contre l’autre. Je brûlais de briser la vitre, mais sentais que cette vitre froide était l’obstacle sans lequel une passion ne peut pas se soutenir. Peu à peu, l’exaspération de nos désirs nous conduisit vers des extases sublimes mais solitaires. Fanfan se mit à pleurer. Dieu qu’elle était belle. Lui résister serait désormais un supplice. »

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