« Un roman français » de Frédéric Beigbeder : « Les mots » d’un existentialiste moderne /PRIX RENAUDOT 2009

« Un roman français » de Frédéric Beigbeder, son septième roman (parution le 18 août 2009, (sortie poche, rentrée 2010)) est un chef d’œuvre parce qu’il parvient à l’une des choses les plus difficiles dans l’existence: parvenir à s’abandonner. « Un roman français » est une leçon de vérité. C’est un livre saisissant. Bouleversant. Sobre. D’une immense sensibilité. Écrit avec une sincérité désarmante où l’on sent la volonté de l’auteur d’être toujours juste et honnête. La plume est ciselée, tout en finesse et poésie. Un travail d’orfèvre. C’est un roman clairvoyant, passionnant. Et pudique. C’est un roman intimiste. Un roman « unplugged ». Sans éclats. C’est le roman d’une seconde naissance ou plutôt d’une libération. L’auteur prévient : « Je souhaite que ce livre vous permette de vous évader autant que moi cette nuit là » (photo ci-contre : Frédéric Beigbeder et sa fille Chloé évoquée dans son livre).

« J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était de les faire épousseter sauf une fois l’an, avant la rentrée d’octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait. » Jean-Paul Sartre – Les Mots

« Les ressources que nous offre l’oubli sont le remède le plus sûr à la douleur de la perte » Jean-Bertrand Pontalis – Traversée des Ombres

« Mais j’aimais le goût des larmes retenues, de celles qui semblent tomber des yeux dans le cœur, derrière le masque du visage.»
« J’ai des souvenirs de villes comme on a des souvenirs d’amours
» Valéry Larbaud – Enfantines et A.O Barnabooth

De Neuilly, 15- rue Saint-James, le 6 juillet à la Villa Navarre, 59, avenue Trespoey à Pau, le 8 juillet 2009.
Les prénoms Frédéric et Charles sont volontairement en majuscules.

La métaphore de l’auteur est puissante ! FREDERIC est bel et bien ce prisonnier qu’on a envie de libérer ! Ce sentiment de « libération », – libération, pas évasion – je l’ai ressenti de bout en bout du roman. La démarche qui en a permis l’écriture fut courageuse, quel que soit l’angle sous laquelle on l’observe : sa mise en œuvre patiente, son élaboration délicate, son urgence aussi d’où la démarche personnelle de l’auteur. Est-il si simple de se révéler ainsi à l’autre ? J’ai eu tant de mal à refermer ce livre. Jamais je n’aurais voulu sa fin. Et je le rouvre très régulièrement pour relire certains passages (comme celles sur son enfance qui font écho à la mienne, les plages de l’Atlantique où j’ai fait mes premiers pas, mes premiers émois sentimentaux, mes blessures au pied, mes découvertes d’enfant, mes lectures fétiches : tout ce que Frédéric décrit et dans lequel je m’enfouis littéralement est un duplicata de mes 10 ans).

Telle est à ce point mon imprégnation. Je le concède : me voilà pris dans un cercle vicieux. Chaque fois que je m’émeus, mes yeux s’embuent de plus belle. J’ai beaucoup pleuré dans ce roman : les souffrances que FREDERIC Beigbeder décrit, sa mise à nu, physiologique, psychologique, affective. Il y aura un avant et un après « Un roman français » : c’est sans doute le souhait de l’auteur qui aimerait que l’on considère ce nouveau-né comme tel (ou le premier d’une longue série ?). Je propose de lui faire ce plaisir. Ce roman marque une rupture dans sa bibliographie. Cette autobiographie – puisque c’est de cela qu’il s’agit – fera désormais dire aux journalistes de tout poil que cet homme de bientôt 44 ans n’est non seulement pas à gifler, mais empli de gravité et de profondeur.

Je connais bien le panthéon littéraire de Beigbeder. Je le soupçonne d’avoir voulu écrire son œuvre sartrienne. Bravo ! Avant d’aller au-delà, quelques rapprochements avec « les Mots » de Sartre s’imposent ici en guise de rappel. Rappelez-vous : Sartre a écrit les Mots suite à une série d’événements tragiques. C’est le cas de FREDERIC, qui après avoir vécu séparations de tout ordre et divorces, se fait alpaguer par la police et se fait littéralement humilié en garde à vue. Sartre évoque la préhistoire de sa famille en donnant toutes ses origines familiales, maternelle et paternelle, comme FREDERIC le fait d’emblée dès le prologue. Sartre enfant s’enferme dans un monde imaginaire, FREDERIC se révèle au fil des pages un enfant fantasque qui nous convie à un voyage dans le temps. Sartre en revisitant son enfance cherche à répondre à cette question : que peut la littérature ? FREDERIC fait exactement la même chose en allant même plus loin : que peut la littérature, mais surtout que peut l’écriture ? Sartre raconte ses souvenirs d’enfance jusqu’à l’âge de 11 ans, on suit FREDERIC de sa naissance jusqu’en 1980 (au moins). Sartre est sans complaisance dans la narration en se livrant à cet exercice avec un esprit critique et une ironie très élaborés. Frédéric fait de même, avec beaucoup d’honnêteté et aborde la part intime de sa personne, en dévoilant certains handicaps. Sartre vit une enfance bien ordonnée, FREDERIC mène une existence plus dispersée, vaquant d’un parent adulte à un autre, mais reste un enfant modèle, sans révolte notoire, donc ordonné.. Sartre possède un grand-père qui se prend d’affection pour son petit fils. Celui-ci lit les classiques de la bibliothèque familiale. Ce que FREDERIC, fier de son héritage intellectuel, fait sans peine dans la bibliothèque de la Villa Navarre de son grand-père paternel. Ce dernier ressemble à Paul Morand et anime des causeries littéraires. Son grand-père maternel, quant à lui, lui enseigne l’art d’attraper des crevettes. Sartre consacre deux pans entiers de son œuvre à l’écriture et à la lecture. FREDERIC tente de vaincre ses difficultés spatio-temporelles en se saisissant ou se déssaisissant du temps, par le biais de la lecture ou de l’écriture. Sartre découvre le sens de l’existence grâce au pouvoir des mots, on apprend que FREDERIC écrit son autobiographie depuis 1974 sur des cahiers Clairefontaine. (Les parallèles entre les deux écrivains s’arrêtent là : Sartre a écrit Les Mots pour dénoncer son imposture (il plagie), pour dire qu’il déteste son enfance, pour exprimer sa folie, pour dire aussi adieu à la littérature : ce qui en tous points n’est pas le cas de FREDERIC Beigbeder dans ce roman. Sartre a de plus refusé le Prix Nobel de la Paix en 1964 : FREDERIC Beigbeder ne refusera pas, je l’espère, le prix littéraire qui lui sera décerné à l’automne 2009)

La construction romanesque d’ « un roman français » alterne entre hier et aujourd’hui, ce que j’ai aimé. Tout à tour, c’est un chapitre sur la famille proche, sur les premières années, sur l’adolescence, la garde à vue, les lieux de villégiature des deux familles respectives, la fraternité et le rôle de parent. J’avais envie de savoir quel enfant était Frédéric, et la manière dont il avait évolué dans cet environnement socio-culturel bourgeois de cette Nouvelle société reconstruite d’après guerre. J’ai ressenti dans ma chair ses frustrations et ses constats sociologiques. (mêmes goûts, références, hobbies).

« Un roman français » commence par l’arrestation du 28 janvier 2008. FREDERIC se fait siffler par la police avec « Le Poète » pour délit de dope sniffée sur un capot de berline. Deux jours plus tard, son grand frère recevait la Légion d’honneur. Fort de ce constat où exalte la dissemblance entre les deux frères, l’auteur s’emploie à faire un parallèle entre le trauma de l’arrestation et les traumas de son enfance. L’histoire se concentre sur l’amnésie rétrograde, – incapacité à se souvenir de moments très anciens- et les défaillances sporadiques de la mémoire épisodique. L’arrestation, en effet, est un choc traumatique. Un révélateur, non un prétexte. FREDERIC Beigbeder est anéanti, perdu, avili, c’est évident. « La prison est une garderie pas clémente » écrit-il. On le déshabille, le fouille, on l’humilie littéralement. Exploité comme une chose, il dénonce avec vigueur et rage la succession d’humiliations qu’un être humain subit en garde à vue. Ces chapitres virulents, il fallait les écrire. Beigbeder veut faire prendre conscience du scandale permanent que constituent nos prisons et autres dépôts. « Pourrissoir d’humains » scande-t-il. Le Procureur de la République s’en souviendra. De la Sarij 8 au dépôt sur l’ile de la Cité, FREDERIC nous décrit sa douleur, réduit à néant, se recroqueville en position fœtale, se morfond, se vide, se terre. On dirait un enfant maltraité. Il cherche la lumière mais l’enfermement est une torture mentale. Il exprime sa claustrophobie, se répugne, manque de péter un câble, envisage donc le suicide. J’ai eu très mal à la lecture de ses passages. Les échanges avec le commissaire sont ironiques et bien pesés, mais Beigbeder est un libertaire anarchiste qui ne désarmera pas. « Je n’ai pas assez désobéi à ma mère » dit-il lorsqu’on lui rétorque que son acte est pure désobéissance civile. Beigbeder ne rentrera jamais dans le rang. Il n’obéira jamais à personne. Cet écrivain est un artiste, vous comprenez ? On ne lui dit pas « Poète ,vos papiers ! ». N’est pas Marc Lévy qui ne veut pas. Mais Léo Ferré, si.

Sa détention exacerbe sa peur de la mort et l’instinct de survie. A un moment, il revit et revoit du fond de son trou à rats, un épisode de son enfance à Bagatelle. Ce sursaut est un réveil de l’inconscient qui va d’une certaine façon s’avérer salutaire : l’épreuve, certes, est dure à vivre mais la démarche résiliente va pouvoir débuter. La résilience ? ce phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression. La résilience est rendue possible grâce à la réflexion, à la parole, à l’encadrement médical d’une thérapie, -FREDERIC parle d’une psy – Le retour sur soi peut prendre forme grâce à l’exercice littéraire. D’où ce roman. « L’oubli protège de la douleur », « l’amnésie, seule évasion des nantis face à la ruine« . « L’amnésie est un mensonge par omission » « peut-être me suis-je cru amnésique alors que j’étais juste un paresseux sans imagination ». L’auteur tente de nous expliquer pourquoi il a usé du refoulement ou de la répression comme mécanisme de défense. Pourquoi il a repoussé et maintenu à distance du conscient des représentations désagréables, car inconciliables avec son Moi.
Notre cerveau n’oublie pas si facilement : il est un disque dur qui enregistre toutes les données et tous les aspects mémorisés de notre individualité. Le narrateur tâtonne. Essaie de capter. De retenir. De quoi s’agit-il ? Pourquoi ? Que m’arrive-t-il ? Comment se fait-il que tout s’évanouisse en moi depuis le divorce de mes parents ? « Dès que je m’approche de mon enfance, elle s’enfuit » clame-t-il. Peut-on concevoir qu’un simple non–dit, comme il l’écrit en toute dernière page, ait suffi à provoquer une altération de la mémoire épisodique ou ait gouverné cette volonté d’oublier plus ou moins consciente, – mais assurément refoulée ? Il est possible que la mémoire qui s’altère en raison d’un choc ait des conséquences importantes sur notre vie sociale et sur notre identité. La preuve ! Ce n’est pas non plus un hasard si, au milieu de cette catharsis, – phénomène de libération à caractère émotionnel résultant de l’extériorisation d’affects refoulés dans l’inconscient – l’auteur laisse échapper une flopée de bons mots dont quelques uns figurent ci-dessus. On relève ici et là des traces, des marques d’enfance, des souvenirs qui surgissent, bref, toutes formes de réminiscences émergent peu à peu en fonction du vécu actuel de l’auteur.
Les pièces du puzzle familial se recomposent enfin. Le passé apparaît : il est capitalisé. Un seul souvenir précis réchappe à toutes ces turbulences intérieures, ces tâtonnements, ces évasions fantaisistes. C’est celui qui ramène FREDERIC à Guéthary, « son Atlantide, son Neverland« . Auprès de son tendre grand père maternel qui lui apprend l’art du ricochet. Il est ce petit convalescent de 7 ans, « en rehab ». Guethary, c’est aussi le souvenir fort de la rencontre entre ses deux parents, -excellent le dessin -, le souvenir arraché de ces vacances près des lieux de villégiature, Cenitz et Patrakannéa, les larmes planquées derrière le masque du visage. Voltaire disait : « Ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire ». Le souvenir majeur se concentre autour de Guethary, Cenitz Aldéa, la plage. C’est son épine dorsale. FREDERIC Beigbeder en parle d’ailleurs en termes caractérisés : « une trace d’ADN retrouvée ». Si ce souvenir est formalisé, nommé, ancré dans une réalité concrète, c’est bien parce que quelqu’un prenait le temps de ne pas fuir en avant, que quelqu’un prenait le temps de ne pas se dépêcher, que quelqu’un souhaitait, sans se laisser galvaniser par la vitesse du temps, en réel, figer les choses, photographier les instants, enregistrer une mémoire immédiate, avec FREDERIC. Je fus bouleversée et je le suis toujours, par tous les passages nommant Guéthary.

J’ai trouvé aussi particulièrement attachant le voyage dans le temps de l’enfant anti-aristotélicien (clin d’œil à Boris Vian). Parler d’ « un roman français », exige de comprendre les allers/retours dans l’espace et le temps de FREDERIC. Entre les deux vies opposées de ses parents divorcés, FREDERIC est en voyage, ou plus exactement en ballotage. Il donne l’impression de vivre vite ou de « tourner » à toute-allure, comme un disque 78 tours. Mais c’est un enfant qui, s’il vit vite, le fait en mode silencieux. Subit en silence les protections dont on l’entoure. Les parents sont pressés de vivre, le père est noceur, séducteur, « voyageur », la mère fait ce qu’elle peut, silencieuse aussi, mais déprimée, « voyageuse ». S’il y a beaucoup de mouvement dans cette famille décomposée, il ne règne pas assez de bruit. Le temps des ancêtres est passionnant, tumultueux. :la vie liquidée des deux familles, les aristocrates désargentés reconvertis dans les affaires, la faillite de l’après guerre, l’effet retors de 68 à l’encontre de ses deux parents, l’utopie féministe de Maman, le rêve capitaliste de Papa, les grands parents Beigbeder, « Justes parmi les justes », ce n’est pas si courant de rencontrer des gens de cette envergure. J’aime beaucoup le transfert affectif de Frédéric vers les arbres : pas quand il explique la provenance du héros Marronnier (donné à son Marc dans quelques unes de ses autofictions) mais quand il parle de sa famille paternelle « (…) enracinés dans une illusoire éternité comme les arbres dans le parc de la Villa Navarre à celui des néo-bourgeois déracinés… ». FREDERIC, lui, n’est pas aussi pressé que les autres. Il aimerait « s’enraciner ». J’adore. A la course au temps, il oppose un : « le temps se dilate » si l’on ne le retient pas par l’écriture (rend hommage à ce cher grand-père avec lequel il n’a jamais parlé. d’écriture. Qualifie ce hasard de rencontre, grâce à l’une de ses tantes, d’heureux « détour » ; « l’écriture ravive la mémoire »). J’aime cet enfant jeune écrivain qui prend sa revanche sur le manque de dialogue. Le côté, j’ai-appris-à-me-saisir-des-instants-vécus-afin-qu’ils-ne demeurent-pas-provisoires est très éloquent. « Ecrire, c’est lire en soi ». C’est vraiment beau. Les lectures lui servent d’échappatoire. C’est « écrit » : FREDERIC aime les mots parce que ses parents en usent moins que lui.

L’enfant anti-aristotélicien lit tout Barjavel : « La nuit des temps ». Fantasque, il développe un sens inné pour l’illusion, s’aperçoit que sa mémoire est factice, n’a pas confiance en la réalité. C’est certainement parce qu’on ne lui permet pas de différencier le vrai du faux. Parce qu’il évolue dans un monde purement fictionnel. Il dit qu’il « tombe tôt amoureux de la nuit parce que tout y est artificiel et féérique » « j’admirais la beauté factice de ce pays imaginaire ». « l’écriture sert de révélateur ». En voyant défiler les gens, beaux-pères et belles mères interchangeables, il « développe une capacité surhumaine d’oubli ». Dévore « A » de Fred et le « Non-A » de Van Vogt. Ses disques ? Les miens. Il souffre de claustrophobie car il évolue dans un univers circulaire, quasi clos ou confiné. Certaines remarques (le Cercle des Poètes détenus) ou la nomination de certains objets évoquent de suite la forme ronde. Le galet est circulaire, il parle d’un freesbee, d’un discobole, et est fasciné par les disques de vinyle pour « la sensualité de ce mouvement perpétuel qui emmène la pointe de saphir vers le centre de la machine ». Je comprends mieux pourquoi son émission s’appelle Le Cercle ainsi que son attraction fatale pour les Cercles ou les Cénacles de tout type (aucun intérêt à se rendre dans des endroits confinés si ce n’est pas pour espérer guérir de sa claustrophobie, autrement dit, pour éloigner le spectre de la mort !).

L’écriture permet donc de se souvenir d’être quelqu’un, de matérialiser… Et il y a Chloé. Les plus belles pages ? Celles que l’auteur consacre à sa fille : son fou rire, sa grâce, son enfance, autrement dit : son écho-lalie. Chloé est un miracle, elle est celle par qui tout redevient sensible comme autrefois. Nous y revoila – Chloé, le « boomerang spatio-temporel ». La formulation est claire autour des handicaps. Comment rester insensible ? Dans un grand souci de vérité, FREDERIC énumère ses saignements de nez, sa timidité, ses rougeurs diffuses, son coté « frère du précédent » « sous le joug » de l’aîné dominateur, sa peur des brimades, ses intimidations quant aux baisers, la peur que l’on moque ses goûts, son complexe physique – grandes oreilles, gloire de pélican, – sa solitude, son déficit de conscience centrée, « le râteau originel », son prénom : « FREDERIC, dans « l’Education Sentimentale » est un raté ». C’est beaucoup pour un enfant « dans un corps d’adulte ». Ces ressentis personnels extrêmement respectables et subjectifs m’ont fendu le cœur.

FREDERIC Beigbeder est le plus bel homme que j’ai rencontré dans ma vie. Aucune femme au monde n’attachera autant d’importance à toutes les « tares » physiques qu’il souligne. Son enfance sans père (s) –sa grand-mère paternelle et son grand-père maternel ont perdu leurs pères militaires très jeunes- et sans frère m’ont tout autant chavirée. Beigbeder souffre à voix haute, croyez le sincèrement. Il se sent injuste envers un père qui n’était finalement absent que par défaut : les passages auto-fictifs de « Windows on the world » cités me sont revenus en mémoire. Ils m’ont fait du bien : « vous me remercierez de ne pas vous avoir étouffé » dit le héros du livre. Certes. Par mimétisme envers son père et son beau-père « Le Baron », Frédéric rejoue la nuit les scènes d’enfant avec l’espoir d’être adopté. Enfin, il y a CHARLES, objet de son ressentiment, « O frère plus chéri que la clarté du jour », son « aîné victorieux », « l’homme parfait », dont il a besoin pour se construire. CHARLES, « son sauveur », « le plus fou », le frère « faux jumeau », semblable (pour leur mère) mais si distinct, si différent, celui avec lequel il s‘est construit en totale opposition. J’aime bien leurs dialogues de frangins, ils m’ont fait rire. CHARLES, qui a déclenché sa vocation de devenir « imparfait ». Le Cri du Cœur de FREDERIC pour son frère aîné est absolument déchirant. C’est un appel au secours. Je fus dévastée par cette déclaration d’amour.

Voilà, il n’y aura plus jamais d’ « Enfance dans le coma ». L’autofiction est un leurre, ce n’est pas de cette façon que l’on conquiert sa liberté. FREDERIC Beigbeder veut grandir, il n’occultera plus l’enfance. Son épreuve de l’arrestation fut bel et bien un électrochoc. Le tableau de Mme Ratel peut bien le juger aviné, le puzzle familial est recomposé. Il ne se coupera plus de ses racines « Relie tous les points et tu verras ton enfance mystère apparaître » . Le mystère est levé, FREDERIC. Tu peux désormais faire quelque chose de ce que l’on a fait de toi sans craindre que l’on te juge, sans craindre d’être différent, sans craindre non plus d’être ressemblant… Je voudrais conclure par ces mots : dans la perspective sartrienne, nous sommes liberté absolue, et donc engagé, ayant toujours à choisir en situation, parce que nous sommes une existence (une ex-sistence, quelqu’un qui se tient et se soutient en sortant de soi), un pro-jet (se jeter en avant), un avenir (un à venir, un advenir) et non une essence déterminée, circonscrite et close sur soi, au passé (Il n’y a que la mort qui fait de nous un passé, un destin). Tout homme est engagé dans la vie comme existence, et ne pourra s’en dégager ou en être dégagé que par la mort : la vie, il va falloir faire avec par notre existence.

C’ est l’histoire d’«un roman français », un Cri du Cœur splendide. Un Cri de douleur.

Telle est la vie que Frédéric a vécue : un roman français. Une vie française.
« Un roman français » : tel est ce chef-d’œuvre qu’il a écrit et qui résonne comme une délivrance. [Laurence Biava]

A lire aussi : un extrait choisi de « Un roman français »

10 Commentaires

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    • Laurence.biava sur 13 juillet 2009 à 12 h 16 min
    • Répondre

    M.e.r.c.i

    Très belle photo de Frédéric avec Chloé.
    (le roman paraît le 18 aout et non le 19)
    A plus tard.

  1. Tant de critiques descendent FB cela fait plaisir de lire un bon article et donne très envie de lire ce roman. C’est drôle, je le marque dans mon blog à un moment, que Les mots de Sartre a été ma première lecture marquante à 11 ans et demi. Votre article m’aide à mieux comprendre pourquoi peut être, car je n’ai pas relu ce livre depuis longtemps.

    • Melisande sur 6 août 2009 à 11 h 10 min
    • Répondre

    Quel magnifique éloge ! Un article touchant et passionné. Merci.

    • gina sur 5 novembre 2009 à 12 h 58 min
    • Répondre

    Un livre d’enfance sur l’enfance plein de tendresse, très émouvant dont on ne peut parler qu’avec enthousiasme. D’accord avec les commentaires parfois longs quand ils se rapprochent trop du texte pour le paraphraser. Mais les comparaisons sont bonnes.Quoique c’est avec émotion qu’on lit Beigbeder ; Sartre, si mes souvenirs sont exacts, avec une raisonnable froideur.

  2. Lettre ouverte à Frédéric Beigbeder
    sur Bibliobs par Eric Dubois. Cliquez sur le lien au dessus.

    http://www.ericdubois.fr

    • laurence.biava sur 14 novembre 2009 à 18 h 59 min
    • Répondre

    J’ai eu tous vos messages sur le site et j’ai validé vos commentarise sur http://www.frederic-beigbeder.org. J’ai lu par auilleurs votre lettre su rle site de Le Mague. DOnc pas d’inquiétude, Beigbeder aura bien fini par lire votre lettre.

  3. Tout commence au Sarij 8 (Service d’accueil, de recherche et d’investigation judiciaire du VIIIème arrondissement de Paris).
    Frédéric Beigbdeder est arrêté avec un ami, le Poète, pour avoir consommé sur la voie publique (sur le capot d’une voiture) de la cocaïne.
    La garde-à-vue prolongée qu’il va subir donnera lieu à une remise en question de l’auteur et de la société dans laquelle il vit, celle qui va le traiter comme le pire des délinquants.
    A travers ces heures perdues dans les geôles de la République, FB va se perdre dans ses pensées pour tenter de récupérer sa mémoire perdue, revivre son enfance pour comprendre pourquoi et comment il en est arrivé là (au Sarij 8).
    C’est l’occasion de revivre des scènes émouvantes (l’initiation au lancé de galet dans l’océan, à la plage de Cénitz de Guétary par son grand-père) ou de dresser le portrait d’une famille peu ordinaire, dont le divorce de ses parents et la figure du grand frère ont tant influencé sa vie.
    Dans Un roman français, on retrouve un FB émouvant, sincère comme jamais il ne l’avait été dans ses précédents livres. Il est une sorte de Lucien de Rubempré du XXIème siècle. Son style vif, fluide, dont les références sont toujours très encrées dans la culture pop, et son goût pour le sarcasme et l’autodérision font de ce livre un roman français, certes, mais avant tout un roman très humain.
    Comme à chacun de ses livres, FB pose à travers l’écriture la question obsédante des limites de l’autofiction puisqu’il nous propose une mise en scène de ses souvenirs, avec de nombreux clins d’œil à Bret Easton Ellis et Jay McInerney, dont les créations guident sa narration.

    FAA

    faranzuequearrieta.free.f…
    faranzuequearrieta.skyroc…

    • Millia sur 15 décembre 2010 à 12 h 00 min
    • Répondre

    Il y a une phrase dans votre article qui est mal construite (je crois) et qui se comprend comme : Est Léo Ferré qui veut. J’ignore si c’est ce que vous pensez mais c’est totalement faux.

    • laurence.biava sur 15 décembre 2010 à 15 h 26 min
    • Répondre

    De quelle phrase parlez vous, qu’on la corrige ensemble de suite ? L.Biava, auteur de la chronique.

  4. Je crois qu’il s’agit de la tournure de la phrase :
    Cet écrivain est un artiste, vous comprenez ? On ne lui dit pas « Poète ,vos papiers ! ». N’est pas Marc Lévy qui ne veut pas. Mais Léo Ferré, si.
    Où le style ne brille pas par sa clarté !
    Je comprends donc la réaction de Millia…
    Romane, aussi fan de Léo Ferré durant ma jeunesse mais peu réceptive à la prose de Frédéric Beigbeder

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