« Les petits » : Christine Angot tente de dénoncer le matriarcat occidental…

« Style incantatoire », « syncope durassienne », « un portrait de femme ardent et dur » pour certains ou des « phrases fatigantes », « illisibles » pour d’autres : décidément Christine Angot ne fera jamais l’unanimité et son dernier roman « Les petits » paru à la rentrée littéraire de janvier 2011 n’échappe pas à la règle… Angot dérange, c’est un fait. Ce qui n’est pas forcément un défaut. Plus gênant elle agace, irrite même s’il lui a été reconnu dans ce nouvel opus un regard sociologique acéré et original. A travers le thème devenu classique de la désintégration d’un couple, elle ose explorer une problématique encore peu abordée : celui de la domination de la femme surprotégée par la machine judiciaire occidentale, parfois au détriment des hommes en particulier s’ils sont de couleur… Un parti pris audacieux, à contre courant du politiquement correct. Malgré cela Angot ne convainc malheureusement pas… et n’est pas à la hauteur de son sujet pourtant ambitieux :

Le dernier roman de Christine Angot, « les Petits » est un petit roman encore plus raté que le précédent, « le Marché des amants », lui-même raté, parce que exhibitionniste et poussif, en cela qu’il mettait en scène deux tourtereaux affligés et affligeants dans un scénario pathétique digne des « Feux de l’amour ».

« Les Petits » raconte l’histoire d’Hélène, mère célibataire qui rencontre Billy musicien d’origine martiniquaise. Après les tâtonnements d’usage et les va-et-vient géographiques, le couple s’installe, fait 4 enfants, et durant 187 longues pages, – pas une pour rattraper l’autre – le couple va connaître l’hostilité croissante, la violence entre père et mère, les manipulations et les déchirements qu’éveillent les enfants.

Angot avait les moyens d’écrire un grand livre sur le matriarcat hostile aux hommes, le matriarcat générationnel et le coté sombre de la puissance féminine. Au lieu de cela, dans une pitoyable catharsis, elle ne fait que sabrer à coup de hachoir cette Hélène dont on ne comprend pas vraiment pourquoi celle-ci domine à ce point la toute première partie du roman en écrasant Billy de sa vindicte.
Qui est donc cette Hélène qui édicte les lois domestiques, qui instrumentalise les enfants ? Un tyran moderne qui cherche à se venger de son homme, tenu au silence ou en laisse, visiblement… Heureusement, la fin du roman et sa fâcheuse actualité nous éclairent drôlement. Christine Angot, femme et écrivain, incarne totalement et pathétiquement ce qu’elle dénonce : le rapport de force entre homme et femme. Le paroxysme de l’utilisation par certaines femmes d’un pouvoir maternel tentaculaire. Qu’elle évoque les luttes sociales, raciales, sexuelles, le rôle de l’argent, l’éducation des enfants, l’organisation matérielle, Angot plonge tête baissée sans distance aucune avec sa mise en scène. Le lecteur n’y croit pas, il suffoque, s’ébroue. Bien des fois on manque de refermer ce livre insupportable !

La narration de la désintégration de ce couple aurait pu être plus intéressante si Angot n’avait empoigné avec autant de rancœur et d’injustice l’impuissance masculine et l’anéantissement de la fierté d’homme puis la dignité du père, colonisation de l’homme par la reproductrice. Ambiance : « Deux sentiments roulent en permanence dans sa tête : elle est la mère de ses deux filles, et ils n’ont plus d’émotions ensemble. L’un prend le pas sur l’autre puis l’inverse. C’est par périodes. Ça alterne. Ça tourne. Selon les moments de la journée ou de la semaine. Elle lui apparaît sous différents jours. Ou selon les événements. Une futilité domestique peut devenir un problème central. Exclusif. Il a un studio à faire tourner, deux loyers à payer, mais il peut être pris dans des problèmes futiles qui durent, qui s’amplifient, qui sont strictement domestiques, pas du tout intimes. Ça absorbe le reste, elle ne dit jamais « c’est pas grave », il n’y a pas de place à l’erreur. Les conflits ne portent pas sur le partage des tâches. Billy travaille mais n’est pas absent de la maison. Il fait le ménage, les courses, repasse un T- shirt en même temps qu’il écoute une chanson. Ils portent sur la façon de faire. Et les mêmes reproches réapparaissent. Elle ne passe pas l’éponge. Ça ne s’éteint pas. »

Certes le style est nerveux et dru, mais à quoi bon puisque l’efficacité narrative est vaine. Au lieu de se prendre pour Duras, Angot devrait d’abord apprendre à parler et écrire français. Méconnaissances de la syntaxe, de la linguistique françaises… : Angot confond le sens propre et le sens figuré. Elle s’emberlificote, elle rafistole. Elle parle comme elle respire au sens le plus bâtard du terme mais à croire qu’elle respire mal. Elle accumule les pronoms personnel et impersonnel, ce qui fait que dans son accumulation, le lecteur perd littéralement le fil de l’histoire et passe son temps à relire des pages afin de comprendre : « mais de qui ou de quoi elle parle, nom de Dieu ? ». Elle fait un usage immodéré de métaphores incidentes sans visiblement savoir ce qu’est seulement une métaphore. Le langage parlé et familier des dialogues est d’une pauvreté sans nom et tombe complètement à côté de la plaque comme en témoigne ces quelques phrases : « J’ai pas besoin qu’on me mette la tête dans le caca » « Comment ils ont fait tes cinq sens ? » « Elle ne voit que quand la chose est partie miroir. Et seulement dans la partie miroir, dans le fragment qui la reflète ». « Il a des ciseaux, elle a un rasoir. Il a peur de prendre un virage qui serait de plus en plus serré. Le cadre s ‘installe mais rien n’est réglé, L’enfant est coupé en deux » « ils aiment la promenade plantée.» « sa voix est prépondérante »

Au rythme de trois bourdes par page, on reste indifférent devant ce texte atrocement mal maîtrisé. On n’est absolument pas bousculé par ce contenu mal écrit, qui agace, on ne se sent pas sollicité par cette histoire à laquelle on aurait aimé croire, parce qu’il est fourre- tout, répétitif, assommant. Angot nous saoule avec ses barbarismes, ses phrases breakées, ses « incantations durassiennes » qui n’en sont pas.

On aurait aimé être entraîné dans les chairs du corps social, – il y a tant à dire – mais Angot ne parvient pas à mettre en évidence ce qui est cité plus haut : les sentiments de domination, de manipulations, d’amputations de liberté, ou de regard dévastateur sur ces mères « machas », figure écrasante, qui croit avoir tous les droits concernant les enfants. Qui auraient du être largement perceptibles, vu le sujet son contexte, dès les premières pages. Non, rien ne palpite ici, rien ne flamboie. Trop d’utilisation de la troisième personne du singulier. Ses phrases trop courtes et trop simples, son manque de vocabulaire est un affront lapidaire infligé à la face du lecteur. Et encore une fois, des sauts dans le temps laissent trop souvent songé d’avoir manqué un épisode important dans l’histoire du couple. Une sensation de froideur, d’étrangeté se dégagent toujours.

De quelle fiction, parle-t-on puisque Angot est totalement dépourvue d’imagination ?
Jusqu’à preuve du contraire, l’écriture comporte quelque chose de résurrectionnel, une grâce infime qui permet de transcender et de transformer le réel quand il convoque et contacte les parts intimes de nous-mêmes. Ici, rien de tout cela. Pas de chair d’Angot. Pas d’esprit d’Angot. Non, on sent bien que certains passages ont été dictés par l’un des protagonistes en question, le « Billy » devenu le nouveau compagnon. Tout laisse croire que c’est lui qui dicte, qui parle du divorce, qui casse la mère – son ex-femme- c’est sa voix masculine qu’on entend, comme s’il se trouvait dans la pièce d’à côté. Tout est donc ici, bel et bien vrai, identifiable, comme lorsqu’on réécoute une voix sur un magnétophone. Il y a des traces. Angot se fait justicière en choisissant de régler ses comptes avec sa prédécesseur. Mal lui en a pris. Désormais c’est la justice qui tranchera… [Laurence Biava]

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Extrait de la réponse de Christine Angot à Pierre Assouline (pour Le Monde) aux accusations d’atteinte à la vie privée et familiale dont elle fait l’objet concernant ce livre :
“(…) Pour faire advenir un personnage sur une page, vous savez que, quelles que soient les impressions subjectives captées dans le réel, le travail d’objectivité que requiert l’écriture d’un roman dépasse de loin le fait d’avoir ou non croisé x, y ou d’en avoir entendu parlé par z, qui n’ont en général rien à vous apprendre que vous ne sachiez déjà. X, y ou z peuvent bien sûr agir sur votre fantasme et devenir malgré eux des révélateurs mais c’est tout, ça n’a rien a voir avec le travail lui-même (…) Un tel croit se reconnaître, niant ainsi toute généralité au propos du livre et pensant évident que l’écrivain « parle de lui ». Et il le clame, il dit « c’est moi », là où l’écrivain lui-même sait très bien de quelle étoffe sont faits les personnages, les narrateurs, les décors qu’on trouve dans les livres. Je ne peux pas empêcher des gens de considérer que l’image d’eux-même est si forte, si impérative, si fascinante, qu’elle suffit à remplir la singularité, la particularité, et l’autonomie d’un personnage littéraire. (…) J’ajoute qu’il est impossible de construire un personnage crédible si vous ne passez pas par vous-même. Le personnage féminin de mon livre, Hélène, je l’ai construit avec un matériau composite, mystérieux, secret, faits d’éléments glanés dans un rapport d’enquête sociale que j’ai eu entre les mains, le fait d’avoir eu moi-même une mère, d’avoir sans doute craint sa toute puissance quand j’étais enfant, et surtout le fait d’être moi-même une femme. » (…)

3 Commentaires

  1. Laurence; aviez-vous aimé L’inceste qui demeure son grand roman, son oeuvre majeure… Le marché des amants, c’était du Angot, bien pour ceux qui l’apprécient et insupportable pour les autres. Si l’on n’est pas touché par un auteur, le mieux est de cesser de le lire une bonne fois pour toute.

    • laurence biava sur 5 avril 2011 à 21 h 45 min
    • Répondre

    merci AK pour votre perspicacité ! : je vais effectivement arrêter de lire Angot, je la trouve imbuvable.

    A part ça, oui, "l’Inceste" reste son oeuvre majeure. Voyez comme je suis juste.

  2. Rien à dire de plus sur ce bouquin, qu’évidemment Angot souffre d’un manque chronique d’humanité, c’est un écrivain au coeur sec et c’est vraiment ce que j’ai ressenti à la lecture de ce livre.

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