« Nicolas Pages » de Guillaume Dustan, Pop(pers) littérature et radiographie de l’identité homo

Il est temps de se remémorer l’oeuvre, « Nicolas Pages » de Guillaume Dustan qui doit se retourner dans sa tombe, alors que le débat sur la légalisation du mariage gay enflamme la place publique, donnant lieu à de tristes manifestations d’opposants… Inconstant, insolent, indécent, trash, anticonformiste, provocateur… autant de qualificatifs employés pour désigner cet enfant terrible des lettres parisiennes: Guillaume Dustan. Tout en s’autoproclamant « l’écrivain l’plus doué d’sa générosité », il déplorait amèrement son manque de visibilité dans les médias. Du moins dans « ceux qui comptent », répétait-il. Mais Guillaume Dustan, décédé à l’âge de 40 ans en 2004 d’une intoxication médicamenteuse, a-t-il été réellement un « oublié des médias » ? Beaucoup d’auteurs contemporains auraient sans doute aimé bénéficié de l’attention qu’il a reçue… Et du bouche à oreille entre lecteurs qui continue de faire connaître son oeuvre. Mais l’homme, écorché, énarque ayant abandonné la magistrature après avoir appris sa séropositivité, cultive sa soif de pouvoir et de reconnaissance qui s’exprime d’ailleurs dans ses livres. Une soif liée à la discrimination homosexuelle subie avec plus ou moins de violence tout au long de sa vie et de ses anciens complexes. Personnalité controversée pour ses prises de position sur le sexe à risque (en 2000 il est la cible d’une polémique contre Act’ Up après avoir déclaré que « la capote, ça ne sert plus à rien » et pour défendre le bareback, relations sans préservatif) ou la drogue, il ose parler, sans faux-semblant, de sexualité, de désir et de fantasme homosexuels, inaugurant par là-même une « littérature gay » (étiquette qu’il revendique) non plus douloureuse ou honteuse mais épicurienne et joyeuse sans pour autant verser dans l’idéalisme. Il crée même aux éditions Balland une éphémère collection de littérature gay et lesbienne : « Le Rayon gay ». Avec sa langue minimaliste, hyper-réaliste et nerveuse, l’auteur a sinon inventé tout du moins renouvelé l’écriture et apporté ainsi une voix singulière à la littérature française. « Venant de Warhol, de Duras, de Céline, il a expérimenté et inventé des formes. Des formes littéraires, des formes de vie, des formes où littérature et vie s’entremêlent. » , analysent les spécialistes de son travail.
A travers ses livres (huit au total), tous basés sur sa propre vie, il n’aura de cesse de défendre ce qu’il nomme la « culture gay » et ses modes de vie. Ses trois premiers opus (dont « Dans ma chambre »-1996 et « Je sors ce soir » -1997) relataient assez crûment ses « épopées noctambulo-pornographiques ». Une seconde période s’ouvre ensuite avec notamment la publication de « Nicolas Pages » en 1999 qui sera récompensé du Prix de Flore et Génie divin en 2001. Il livre ici une analyse très riche qui embrasse les aspects socio-culturels mais aussi politiques, toujours à travers son expérience : « Je fais du militantisme homo avec ces livres, mais aussi du militantisme en faveur d’une forme de vie underground », revendiquait-il. Pourtant son discours et ses idées dépassent largement la communauté gay pour toucher tous les lecteurs quelque soit leur appartenance sexuelle :

« Je suis radieuse. Je suis intelligente. Je suis une bombe sexuelle. je suis drôle. J’habite le Marais. Mon secret ?… Je suis dépensière. Je me drogue sans arrêt. Je danse. Et, surtout, je suis amoureuse…« 

Comme son nom ne l’indique pas « Nicolas Pages » n’est pas (uniquement) une ode à son amour fou, l’écrivain Nicolas Pages (le nom réel d’un écrivain notamment de « Je mange un oeuf »). En réalité « Nicolas Pages » est un roman dans le roman, un journal intime dans le roman, des articles, une thérapie, des synopsis, des délires hallucinés, des colères et des explosions euphoriques dans le roman
Bref, Nicolas Pages, à l’image de son titre singulier et peu représentatif finalement, est un (méta)roman iconoclaste. Un roman « mental » , « plasticien » comme le suggère lui-même l’auteur dans ses pages, qui suit une autre logique que celle de la narration d’une histoire pure et simple.
C’est un « one man show engagé » pour la culture et les droits gay, un vibrant plaidoyer pour l’autofiction (bien que l’auteur lui préfère les termes « d’autographie, « autobiopornographique » ou encore « d’egologie »), une réconciliation avec l’identité homosexuelle, un message d’espoir et d’énergie, un hymne à la vie, un appel à l’humanité et à l’amour, au plaisir et au désir. Mais aussi une réflexion socio-culturelle et parfois quasi métaphysique ou mystique sur la société occidentale judéo-chrétienne. On pourrait dire aussi que c’est aussi le « Lunar park » de l’auteur, grand admirateur de Bret Easton Ellis d’ailleurs. Et bien d’autres choses encore !

Vous l’aurez compris « Nicolas Pages » est un livre foisonnant et unique en son genre. Un livre d’une rare authenticité et justesse, celle d’un homme qui se livre sans concessions, sans faux-semblants. Un homme qui s’interroge au regard de son expérience et de son vécu et qui parvient à transcender son « moi » ou sa communauté, pour toucher à l’universel. Chacun(e), homme ou femme, homo ou hétéro, peut être interpellé(e) par l’une ou l’autre de ses idées, considérations sur la vie, le corps, ses prises de position qu’on les partage ou non ou encore ses souvenirs d’adolescence…

Ce brûlot vibre littéralement comme les beats de la musique techno qui rythme ses pages, comme une montée sous héro. Il déborde d’une vitalité qui surgit après des années noires de « honte, de solitude et de dépression » (la première produisant la deuxième qui produit la troisième). C’est un livre parfois violent, « hard », explosif mais aussi touchant, émouvant, tendre et fragile

« Ecrire ma vie me donnait la force de la vivre.« 

C’est tout d’abord sa forme qui frappe le lecteur : une écriture sèche, âpre, faite de phrases minimalistes et fragmentées, qui tient du rêve (ou parfois cauchemar) éveillé. Guillaume Dustan écrit comme il pense, en suivant les allers-retours de sa mémoire, sans contrainte chronologique. Ce sont les sensations, impressions et associations d’idées qui priment. Il écrit comme il vit en rapportant chacune des actions effectuées, leur enchaînement mis bout à bout et crée ainsi un rythme inédit, une pulsation tendue comme un flot (flow), une litanie hypnotique : « Petit à petit je m’endors. Je me réveille pour me souvenir des mots. Je m’endors. Bonne descente de shit. Et tout un coup la musique me fait revenir et je, c’est, oh putain, un authentique retour d’exta. J’en avais déjà eu mais jamais d’aussi fort. J’ai chaud. Je me laisse aller. Plus qu’à recevoir les vagues de bien-être orange. (…) Je pense aux Bains-Douches, l’endroit où j’ai appris à vivre. » allant jusqu’à retranscrire des faits intimes apparemment triviaux tels que « Je me brosse les dents, je démarre une machine de couleurs, je me fais un pétard, je fume, je vais chier, je suis défoncé… » C’est une « écriture en temps réel » comme il la qualifie : « un truc complètement addictif« .

Ainsi le roman s’ouvre sur sa rencontre avec Nicolas Pages, un jeune écrivain d’origine suisse, homo également avec qui il doit participer à une rencontre lecteurs (où Dustan nous apprend notamment qu’il ne faut jamais répondre aux questions (sauf quand elles ont vraiment un intérêt), mais que c’est un bon point de départ pour dire ce qu’on a à dire !).
Très vite les deux hommes deviennent amants et l’auteur tombe follement amoureux de cet éphèbe qui lui rappelle sa « fière jeunesse », « beau comme un cow-boy, comme Rahan, comme Docteur Justice« … S’ensuivent alors les traditionnels attente fiévreuse des appels téléphoniques de l’Autre, les doutes et les nuits blanches… Mais là n’est pas le plus intéressant du récit. C’est plutôt la suite qui correspond à « l’avant Nicolas Pages » qui nous plonge véritablement dans le quotidien de l’auteur, d’un homo « pédé à l’extrême », branché, passionné, fou et fougueux, qui vit à 200%, crée, s’agite, écrit et tente de faire bouger les mentalités et les idées en brisant les préjugés et les tabous… Au risque de choquer ou de passer « provoc' » !
On découvre ainsi le milieu homo au masculin avec au coeur des relations : la sexualité. Il estime d’ailleurs que la culture gay est avant tout une culture du sexe, ce qui explique son rejet par l’Occident judéo-chrétien.

Une sexualité bien différente de celle des hétéros. Ici pas de blabla ou de préliminaires qui s’éternisent. L’approche directe et sans complexe domine. Une grande importance est aussi accordée au physique (en particulier l’obsession de la taille du pénis : « Une immense cause de souffrance et de violence humaine disparaîtrait si aucun homme n’avait une bite de moins de 19 cm. » explique-t-il très sérieusement !), au culte du corps, des apparences (look particulièrement travaillé et mise en scène de soi : « total look latex », « string en cuir zippé », « harnais »…). Il se revendique d’ailleurs eugéniste.

Une sexualité libérée de tous tabous qui se pratique dans les boîtes interlopes tendues de vinyle rouge ou dans les backrooms de Paris à San Francisco en passant par Las Vegas où l’écrivain sera de passage. Une sexualité qu’il va jusqu’à pratiquer sans préservatif selon le principe du « bareback » (homos séropos ayant des rapports non protégés), ce qui déclenchera le scandale avec Act’up.

L’auteur n’hésite pas à aborder les actes d’une façon crue et surtout extrêmement technique (il parle même de « travail » pour décrire ces pratiques). Dans l’un de ses articles (« Sex requiem ») pour le magazine « Têtu » qu’il retranscrit au milieu du roman (articles qui comptent parmi les pages les plus intéressantes du livre), il apporte un éclairage passionnant sur le tabou -insidieux- dont est encore victime la sexualité vis à vis notamment des « compétences techniques ». Il déplore également le fait que se laver est le seul moment où il est admis de se toucher sans culpabilité. Enfin, selon lui l’arrivée du sida a donné un coup d’arrêt à cette technicité sexuelle et à la « culture du plaisir » (en réactivant « le sens de la faute »), tout en banalisant les pratiques « hard ».

Une sexualité vécue la plupart du temps sous ecsta ou autre drogue (poppers, K, crytsal…) : « Ce qu’il y a de bien avec les ecstas, c’est la disparition de toute psychologie. On ne se rencontre pas, on se tombe dessus.« 
Il milite d’ailleurs activement pour la prise de drogue qui lui aurait « avant toutes autres choses sauvé la vie. » Dans un autre article , il va très loin dans sa prise de position (« Amour mystique ») : « La drogue c’est un truc qui rend plus fort si on prend la bonne dose et qui terrasse si on en abuse. »
Il dit ainsi être pour la drogue mais contre la toxicomanie. Un discours qui se tient même s’il peut apparaître dangereux. Il va jusqu’à prôner « la légalisation de toutes les drogues et l’enseignement de leur bon usage à l’école » ! Et en prime « l’enseignement de toutes les sexualités à l’école et « des épreuves de cul -théoriques- au bac » ! Sa formation de juriste refait aussi surface avec éclat lorsqu’il défend les droits des homosexuels et dénonce la dictature hétérosexuelle : « Si les hétéros étaient minoritaires, leurs droits bafoués par des Etats contrôlés par les homos, on parlerait de littérature hétéro avec le même embarras qu’on parle de littérature homosexuelle. »

Cette sexualité assez « sauvage » n’empêche pas les sentiments et l’affection même si la fidélité n’a pas la même valeur que dans les couples hétéro. Il évoque ainsi sa grande relation avec Marcelo alias Nelson (rencontré lors de sa mutation à Tahiti) dans un chapitre intitulé « Lapin et Petit Ours » (leurs surnoms respectifs) même si la conception du couple homo et notamment de la monogamie différe quelque peu : « Quand on est un couple libre on sait faire la différence entre fidélité amoureuse et exclusivité sexuelle.« , lance-t-il au détour d’une page.
Mais aussi l’importance de la bande d’amis, « la rigolade qui est un vrai lien« , que l’on retrouve dans les cafés du Marais, les moments d’euphorie et d’hystérie autour d’une Vodka glace. Il nous dresse les portraits des « Folle du marais » ou « folle des Halles », ces « pédales » flamboyantes chez qui il squatte à tour de rôle depuis qu’il ne peut plus payer son loyer (il a lâché la magistrature pour se consacrer à son art). Tout un joyeux folklore, loin de la vision pessimiste ou maladive que certains auteurs tel que Genet ont pu donné de l’homosexualité. Il analyse aussi la vieille garde homo (« le milieu cuir des années 70 » orienté SM) qui a insufflé une nouvelle virilité à travers ses icônes et ses accessoires et la compare aux homos actuels plus axés sur l’hédonisme.

On constate également qu’il emploie souvent le féminin (« Elle ») pour se désigner (« Je suis trop conne ») ou parler de ses amis homos. Il évoque avec beaucoup d’enthousiasme ses projets de photos « pornos-trash-glamour » avec son personnage de « Miss Psyggy » pour lequel il se travestit en portant notamment une perruque à laquelle il est très attaché, comme si elle le protégeait des regards hostiles, ou encore la gay pride et les relations avec son éditeur POL (le seul éditeur qui a osé le publier après les refus de tous les autres et déjà éditeur de Renaud Camus ou de Dennis Cooper…)…

C’est aussi une plongée dans le milieu de la nuit underground, le plaisir de la fête, de la musique et des bonnes vibrations. Il livre notamment un bel hommage aux boîtes de nuit : un monde de sensations cérébrales et corporelles où l’on « décharge l’angoisse » et où le corps devient « l’unique baromètre ». « Une boîte de nuit est un monastère. On prie. Pour soi pour les autres pour le monde.(…)
Une boîte de nuit ça sert à ça. Régresser. Grave. A la place de s’agresser. Grave. »

Les transes permises par les musiques house et techno sont au coeur de cet abandon physique et psychique comme il l’explique au cours d’un autre article (« Qu’est ce que la house ? »). « La techno est une musique révolutionnaire parce que thérapeuthique et consciente de l’être. » Il les rapproche des cultures primitives et du besoin d’illumination de l’homme : « Les pédés qui dansent ne meurent pas. » Originalité du texte : dans les scènes de boîte, il entrecoupe et rythme ses phrases syncopées d’onomatopées : Boum, boum… BOUM BOUM…

C’est en ce sens que l’ouvrage peut se lire comme un hymne à la vie presque épicurien, comme une revanche après une adolescence difficile marquée par le rejet de son père qui lui répétait que les « pédés n’étaient pas des hommes ». Un sentiment qui se traduit aussi par son goût de la « bonne chère » : d’amples passages sont consacrés à la préparation de ses repas ou ses courses, un peu comme Murakami qui s’attarde souvent sur la cuisine de ses personnages. « J’entre à Shopi, je refuse d’acheter les mêmes trucs que d’habitude, j’achète du rosé, du coca light, du jus de pomme, de la vichy célestin, du café cher pour voir si c’est vraiment mieux (…) j’achète un mini concombre hollandais, des tomates, un melon qui a l’air super, je dis à ma voisine Ils sont super bons, elle est un peu surprise mais contente, je me rends compte qu’il n’y a qu’en boîte que je dis des petits trucs humains à des inconnus (…) je prends un tas de trucs, je pense que les courses sont un moment essentiel d’exercice de la liberté dans une société surpolicée… »

Influencé par l’auteur d’American Psycho, Bret Easton Ellis qu’il cite d’ailleurs à plusieurs reprises*, Dustan signe ici un roman comportementaliste brut de toute considération morale mais néanmoins doué d’une grande sensibilité qui s’exprime dans tous ses paradoxes. Une écriture toute en montées et descentes, frénétisme et rage où surgissent sans cesse l’amour et la compassion. Un roman dense, arborescent où se dessine une certaine portée philosophique. On pourrait accuser l’auteur de facilité pour avoir « gonflé » les pages de son livre avec de la « récup' » d’anciens articles ou même d’extraits du journal de sa grand-mère décédée !, mais finalement tout se tient miraculeusement. Cette somme de styles (qui tiennent parfois davantage de la chronique ou de l’essai idéologique que du littéraire à proprement parler) et de thèmes s’articule et fait sens tout en interpellant et surprenant le lecteur jusqu’au bout. Thomas Clerc, un jeune agrégé de lettres modernes de la fac de Nanterre écrivait dans sa thèse consacré à l’auteur : « En 1857, Flaubert écrivait Madame Bovary. Selon Zola, « le code de l’art nouveau se trouvait écrit ». A travers une forme inédite, il annonçait la sensibilité du XXe siècle. A sa façon, Dustan se place à son tour dans la lignée de ces écrivains visionnaires. Son Nicolas Pages revitalise les lettres modernes pour dresser les contours de l’Etre moderne. Celui du XXIe siècle. » [Alexandra Galakof]

* »BEE m’avait montré la voie avec son minimalisme stylistique et son absence de pyschologie au sens traditionnel du terme (chez Ellis l’intériorité des personnages n’est montrée qu’à travers le récit de leurs actions), en fait je dirais pour son esthétique filmique (cf le travelling d’ouverture d’American psycho, et évidemment Less than zero, sauf les passages en italique, trop creative-writing), et bien sûr pour le trash-gore inédit avant lui à ce point en littérature, si je ne me trompe. Mais, étant d’un naturel optimiste et volontariste, je n’étais pas d’accord avec la désespérance absolue qui a fini par plomber son écriture dans The informers. » (extrait Nicolas Pages)

Lire aussi : « Merde à la dictature du Vrai roman » par Guillaume Dustan (extrait de « Nicolas Pages »)

Paroles de Guillaume Dustan au sujet de « Nicolas Pages » (interview Amazon) :
« J’ai voulu prendre le pouvoir, alors il fallait faire un gros livre. Les gens réagissent à l’épaisseur. Il fallait se faire entendre. Je ne fais plus vraiment de l’art, mais quelque chose de politique. A la base, j’ai écrit parce que je pensais que j’allais mourir. Mon écriture avait pour justification de me faire du bien — la continuation de la psychanalyse — et de montrer que mes amis étaient beaux. A l’époque, en 1993, ils n’avaient pas trop la cote. Ils étaient pédés SM, drogués, séropo. Ça me détruisait que ces gens ne soient pas vus comme je les voyais : comme des anges. Avec le deuxième livre, je me suis mis à comprendre ce qu’il pouvait y avoir de vital dans la culture gay, dans laquelle j’étais immergé mais qui n’avait pas de valeur à mes yeux. De la même manière que je n’avais pas de valeur à mes propres yeux parce que j’étais pédé, que je prenais des drogues et que j’écoutais de la house. Je voyais ça comme une sous-vie. Et puis je me suis rendu compte que c’était plutôt une « sur-vie ». Il y a eu un renversement des valeurs. Alors je suis devenu plus offensif : le troisième livre, ce n’était que du cul, l’histoire de ma vie sexuelle, pour dire « Réveillez-vous, le sexe n’est pas pris en compte comme il le devrait. »  » Avec «Nicolas Pages», j’ai voulu montrer comment ça s’était amélioré pour moi, et donc comment ça pouvait aller mieux pour les autres. C’est encore un autoportrait mais pas pour prendre la pose. »

« Ecrire, plus encore que parler, ça consiste essentiellement à ne pas faire le singe. Alors on arrive à dire de nouvelles phrases, à produire ça au milieu de toutes les vieilles phrases d’où tout sens et toute musique sont effacés et qui ne sont plus alors que la monnaie d’échange de la peur et du pouvoir. Si Nicolas Pages avait un message, ce serait « Faites tout ce que vous pouvez pour ne pas souffrir ». »

«Nicolas Pages», une histoire d’amour ? « La véritable histoire d’amour n’est pas avec Nicolas Pages mais avec Nelson, dont je parlais dans Plus fort que moi. Nelson m’a été imposé par la vie. Mais ce n’était pas mon rêve. Je rêvais d’être marié avec quelqu’un de plus fashion, comme Nicolas Pages. J’ai toujours voulu être avec une blonde sur qui tout le monde bave. Mais Nelson s’est trouvé là pour m’apprendre une chose fondamentale : que les sentiments, c’est énorme. Ce n’est pas quelque chose qu’on dit beaucoup. C’est le grand truc de Duras. C’est pour ça qu’elle est l’objet d’un culte. Et qu’on la ridiculise tant. Moi qui ait été totalement désespéré, je trouve que le plus important dans la vie, c’est le renforcement des liens sentimentaux. C’est ce que j’attends de la vie maintenant : que ça devienne de plus en plus puissamment amoureux. »

Comment y parvenir ? « En détruisant l’ordre social. Je veux détruire leur sale ordre. Quand j’étais jeune, je pensais qu’il n’y avait pas de problème. Que c’était moi qui avait un problème. Maintenant, je pense que c’est profondément lié à l’organisation sociale et au discours dominant, qui est un mensonge. Aujourd’hui, notre sensibilité est réprimée. Les gens n’écoutent pas leur corps et leur esprit, ils écoutent la voix du Maître, du Père. C’est de ça qu’il faut sortir. »

Frédéric Beigbeder, à propos de Guillaume Dustan :
« J’aime Guillaume Dustan parce qu’il énerve tout le monde, un peu comme moi ! Il est courageux, libre, révolté. Ses trois premiers romans sont très forts (la période POL), puis il a tout balancé avec « Nicolas Pages » qui méritait son Prix de Flore. Un an après, Schuhl a obtenu le Goncourt avec la même idée que lui : faire un roman qui porte le nom de la personne qu’il aime. Son nouveau livre, « Génie Divin », va encore plus loin dans le collage impudique. C’est la théorie de sa pratique sexuelle, narcotique, politique. Dustan est le dernier auteur français subversif. Il fait exprès de choquer car il teste les limites de sa liberté. Il expérimente les choses pour pouvoir les raconter après. C’est le cobaye de notre génération. Le rôle des écrivains est de faire tout ce qui est interdit. Par ailleurs, il est un excellent éditeur (Karin Bernfeld, Cécile Helleu, Bruno Richard, Dorothy Allison…) Pourquoi j’aime Dustan ? Parce que j’aime la littérature VIVANTE. »

Hommage du journal Libération à sa mort :
« La mort de Guillaume Dustan est un jalon dans l’histoire littéraire, un repère pour suivre le cours de la société, la température des générations, sans préjuger en rien que l’histoire des idées, comme l’histoire, puisse avancer ni reculer, aller mieux ou plus mal, ce n’est pas la question. Avec Guillaume Dustan disparaît une sorte de book hero, comme on disait guitar hero jadis, un auteur culte dont les fans aimaient à la fois l’écriture, la personnalité, les provocations médiatiques.« 

3 Commentaires

    • Jan de Kerne sur 1 avril 2010 à 0 h 25 min
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    Cette bio donne très envie de s’immerger dans l’univers de Dustan, que je contourne, observe de loin depuis bien longtemps. C’est une question de moment. Dustan. Et il est peut être venu pour moi. Merci !

    • W.J.Sperber sur 8 juin 2011 à 0 h 19 min
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    bon moi Dustan c’était perruque Ardisson baise bareback tecknikart (sans majuscule merci) en plus on parlait de lui tout le temps et moi j’écrivais Pactole dans la mouise fuck fuck fuck et puis ce jour fin 2005 où je revenais à Paris pour la première fois depuis 12 ans et je me suis dit "Dustan est mort" et le premier truc que m’a dit mon pote chez qui je couchais c’est que Dustan était mort la veille et que l’information n’avait pas encore filtré, en effet, les médias ne l’ont annoncé que plus tard. Radio- Marais je présume…

    • jcmnono sur 22 mai 2013 à 16 h 29 min
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    Le génie s’est fait homme sur terre. Bon, de toutes façons un surdoué ne pourra jamais se faire passer pour une homme normal. Il a voulu vivre comme un homme normal : je vois une femme et j’ai envie de la niquer. Impossible. Le génie a compris alors que l’homme de tous les jours vit dans un zoo en cage.
    En voulant sauver le monde, en étant responsable, nous sacrifions tous, les uns après les autres et sans exception, nos vies sur un autel moral faux où plus personne ne jouit de la vie : la responsabilité, c’est pour soi, pas pour autrui. C’est quand nous voterons pour nous mêmes , quand nous serons définitivement individualistes, que nous rebaiserons tous ensemble parce que c’est bien, et pas avant.
    La house avant le sida , house qui repoussera car il y a des graines partout, c’est l’homme de cro magnon nu au soleil avec des poils et une grosse bite, + , c’est nouveau, un QI de 150, un héritage de prix nobels, ici Dustan, enarque lubrique un jour banalisé donc baisanalisable. Le beurre, l’argent du beurre et la baratte. Gel sans capote, puis degel tout court.
    La house gay, c’est des individus joyeux vivant ensemble. Les autres, les zombipersonnes « dignes » elles comme de bien entendu, qui cherchent l’amour virtuel et sans danger sur le net, pour ne plus avoir de sexualité vécue du tout, vivent seuls, avec le reve du prince charmant, ou avec un alter tocard qui tient sa place un instant.
    Donc, l’individualiste jouisseur et égoiste se révèle le seul qui sache vivre en société : la house, seule expérience humaine réussie connue, avant le sida…. les autres perdent leur vie à la sauver, et s’isolent dans la névrose.

    Quel drame d’avoir vu et le paradis et le sida mis provisoirement sur son chemin. Mais bon, ce Grââl des années 68/80 suffit à effacer la fin.

    Soutenir Dustan , c’est pas prendre un grand risque, il est sûr de gagner à terme, la parenthèse sida n’a été qu’un contre temps, d’ailleurs le sida c’est fini, on n’en meurt plus et les traitements rendent non contaminants, et finalement même lui n’aura pas suffi à restaurer le vieux monde : ouf !

    Quoi d’autre ….. : les media !
    oui, thème moins important que le précédent. Les media sont le vrai pouvoir aujourd’hui, et/donc, l’espace désormais le plus soumis à la peur. définitivement non fiable.

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