Dans la bibliothèque des blogeurs… Anne-Laure (blog « Je suis venue te lire »)

En octobre 2010, Anne-Laure, parisienne de 30 ans et jeune maman d’un petit garçon, a décidé d’ouvrir son blog littéraire au nom gainsbourien « Je suis venue te lire ». C’est avec un regard personnel et décalé que cette journaliste pour la presse touristique et culturelle a souhaité faire partager ses lectures. « Je suis venue te lire » se définit comme « un blog littéraire… mais pas que ». On y trouve notamment aussi son goût pour les voyages et la photographie. Une série de photos illustre ainsi ses billets en mettant en scène ses livres du moment mais aussi une rubrique de « street-reading » regroupant les photos de ses rencontres de lecteurs, au hasard de la rue. Aussi à l’écoute des conseils de sa « libraire préférée » que des recommandations des blogs, elle dévore les grandes sagas et les histoires riches fourmillant de personnages, avec une grande curiosité pour la littérature contemporaine et étrangère (en particulier scandinave…) :


Quel est le livre qui t’a marqué enfant et/ou ado et qui t’a donné le goût de la lecture ?
J’ai l’impression d’être née avec le goût de la lecture et je crois que j’étais déjà heureuse de ce qu’on me faisait lire au CP. Petite, je dévorais tout ce qui me tombait sous les yeux, jusqu’aux notices sur les bouteilles de produits d’entretien ! Mais j’ai grandi avec les histoires de la Comtesse de Ségur – j’avais une passion pour Sophie – et les aventures du petit Nicolas. Je dirais aussi que mon abonnement à J’aime lire puis à Je bouquine a largement contribué à élargir mes horizons littéraires. Je me rappelle y avoir découvert « Victor, l’enfant sauvage », « Le Passe-muraille »…

Le livre qui t’a fait comprendre ce que le mot « littérature » veut dire (claque littéraire)…
J’en ai pris une assez phénoménale tout récemment avec Naissance d’un Pont de Maylis de Kerangal. J’ai trouvé ce texte d’une incroyable efficacité, d’autant que je n’en attendais pas grand-chose. A mes yeux, c’est la littérature dans toutes ses possibilités. Une fiction qui colle au réel, une langue travaillée, très éloquente et très romanesque… Avant elle, il y avait eu Boris Vian, J’irai cracher sur vos tombes et la Trilogie des jumeaux d’Agota Kritsof. Avec l’un comme avec l’autre, je découvrais que la littérature pouvait être cruelle et terriblement violente.

Le livre que tu aimes lire et relire, sans jamais t’en lasser…
Il n’y en a plus depuis « Treize à la douzaine » que j’ai lu au moins huit fois il y a des années. Depuis, j’ai trop de choses à découvrir, je ne relis pas.

Le livre que tu aimes honteusement ?
J’ai trop honte pour le dire… Non, en fait je ne cache pas de livre honteux sous mon lit !

L’auteur dont tu liras toujours tous les livres quoiqu’il advienne…
Je crois que c’est Paul Auster. Je suis tombée dedans avec la Trilogie new-yorkaise et depuis, je crois que j’ai tout lu de lui, y compris les scénarios de Smoke et Brooklyn Boogie. Même s’il y a un côté industriel dans sa production et que je suis un peu lasse du style, je suis toujours contente d’acheter le petit dernier, qui parvient à me surprendre d’une manière ou d’une autre. C’est un peu mon roman de gare à moi. Par contre, je songe sérieusement à le lire dans le texte parce que quelque chose me dit que la traduction lisse trop la forme… et le fond ! J’entretiens à peu près exactement le même rapport à l’œuvre de David Lodge.

« Les critiques, partout, parlent de Naissance d’un pont comme d’un roman « à l’américaine ». Je viens de lire un roman-monde. »

Le livre que tu n’as jamais pu finir…
A mon grand désespoir, A la recherche du temps perdu. J’ai lu et passionnément aimé Du côté de chez Swann puis la moitié d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs… puis la vie et mes préoccupations d’étudiante sont passées par là. Je n’ai jamais continué. Depuis, j’attends désespérément le bon moment et les conditions idéales : six semaines de vacances sans rien à faire ni à découvrir… Autant dire que je suis mal barrée !

Le livre que tu n’as pas encore lu et que tu veux absolument découvrir…
L’archipel du goulag. Depuis que j’ai compris l’importance de cet ouvrage et les conditions si particulières de son écriture et de sa publication, je brûle d’envie de le lire. Mais le seul exemplaire que mon mari (J.-C.) a pu trouver quand je lui en ai parlé (le livre était alors manquant), sent tellement le renfermé que je n’arrive pas à m’y plonger ! Peut-être un jour en poche ? Avec six autres semaines de vacances !

Le livre que tu recommandes le plus de bouche à oreille…
Incontestablement Le livre de Dina d’Herbjørg Wassmö. J’ai dû l’offrir au moins 30 fois ! J’ai même songé à demander une commission à l’éditeur… Je l’ai d’abord lu en 10/18 (8 tomes en une semaine !) puis je l’ai racheté dans la collection Gaïa. Je trouve qu’elle a un don particulier pour narrer les histoires du passé, emmener son lecteur au début du siècle dernier et lui faire vivre le quotidien tel qu’il était dans les fermes du grand Nord. Elle crée des personnages intéressants, terriblement vivants, pétris de contradictions. Ses romans sont parfois cruels, je pense notamment à la Trilogie de Tora. Ce sont souvent des destins de femmes au caractère à la fois flamboyant et sévère. La vie de Dina commence par ce drame : à 4 ans, elle ébouillante sa mère par accident. Ce geste terrible dicte sa vie. Le Livre de Dina, c’est une vie, même plusieurs (celle de Dina et de ses enfants). Dina est forte et sensuelle, en avance sur son temps. Elle gère d’une main de maître sa ferme, joue magnifiquement du violoncelle, voyage, elle est le juge impitoyable de son entourage. C’est un personnage complexe, que l’on peu aimer ou détester, mais qui ne peu laisser indifférent.

Du coup, j’ai non seulement développé une obsession pour cette saga, ce personnage féminin terriblement sombre, pourtant absolument vivant et sensuel, mais aussi pour le grand Nord (au Canada ? Le cas échéant, il s’agira du Grand Nord), et notamment la Norvège, que j’ai très envie de découvrir mieux… J’ai effleuré mon rêve norvégien en partant en reportage sur la minuscule île de Lanan, dans l’archipel de Vega. C’est beaucoup moins au Nord que la ferme de Dina, mais quelle bonheur, quel air pur, quelle lumière et quelle herbe tendre !

Que penses-tu du succès de la littérature nordique ces derniers temps, consacrée d’ailleurs par le dernier Salon du livre à Paris en mars 2011 ?
J’imagine que ce succès a été largement initié par la trilogie Stieg Larssen. Que pour ma part, j’ai lu sans déplaisir, mais qui je trouve n’est pas assez aboutie… Disons que l’intrigue est bonne, la forme l’est nettement moins, sauf pour ce qui est des titres et de la couv’, qui étaient très vendeurs. Et puis je ne lis pas ou peu de polars, mais je crois savoir qu’il y a de très bons auteurs venus du Nord. Face à cette déferlante, j’imagine que les éditeurs surfent sur la vague et qu’ils traduisent de plus en plus la littérature scandinave qui prend plus de place dans les rayons des librairies et remporte encore un peu plus de succès. C’est peut-être un phénomène de mode, mais comme la qualité littéraire est là, il dure.
En ce qui me concerne, c’est un auteur français qui m’a donné envie de lire la littérature nordique : Philippe Delerm, avec Sundborn ou les jours de lumière, à cause de la lumière qu’il y avait dans ce roman, justement. Avec Dina, j’ai définitivement succombé. Puis, récemment, il y a eu Purge, Sukkwan Island (un autre genre de Nord, mais ça compte quand même non ?), Henning Mankell, etc. Je suis une obsédée scandinave !

Le livre dont tu aurais aimé être le héros/héroïne
Dina Potter et la Chocolaterie au pays des merveilles ? Non, je ne sais pas vraiment, mais vivre dans le Nord, et avoir des pouvoir magiques dans une usine de chocolat où l’on fêterait tous les jours mon non-anniversaire… pourquoi pas !

Le jeune auteur contemporain qui te semble incarner la nouvelle génération littéraire en France (et/ou à l’étranger)…
C’est une question vraiment difficile pour moi ! Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’il FAUT que je réponde Fredéric Beigbeder, dont pourtant je n’ai rien lu depuis 99F… Comme si dans ma tête, l’idée d’incarner une génération était plus liée à un statut médiatique qu’à une œuvre. Et puis j’ai l’impression que la nouvelle génération compte trop d’auteurs pour dégager une tendance et une figure de proue. Quand à aller fouiller dans ce que je lis… Je crois que mes goûts sont trop éclectiques.

Le livre que tu n’aurais jamais cru aimer / livre que tu ne voulais pas lire et pourtant…
Je ne lis jamais que ce que j’ai envie de lire.

Ton livre page-turner : le livre que tu as lu en une nuit, sans pouvoir décrocher…
Tous les livres que j’aime le sont un peu. Mais globalement, ce sont surtout les romans très denses, plantés dans des décors richement décrits, peuplés de personnages au caractère bien trempé et qui m’emmènent loin… Comme Le livre de Dina, Le Seigneur des Porcheries, La Chorale des maîtres-bouchers ou encore Shantaram.

Le livre qui t’a fait pleurer…
D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. Mais alors, c’est ce qui s’appelle vraiment pleurer. Je crois que je n’ai pas arrêté une seule minute. Ça a dû commencer page 30 pour ne plus jamais s’arrêter. Je me calmais entre chaque séance de lecture, et à peine le reprenais-je, que je me mettais à sangloter de plus belle. Je n’ai jamais lu un auteur qui touche d’aussi près les sentiments humains, qui les mette en mots avec si peu de moyens et une telle efficacité. C’est un passeur d’histoires qui n’a pas son pareil.

Le livre qui t’a fait rire/redonné le moral (sorti d’une situation difficile)
Bizarrement, la réponse est moins spontanée. Je ne pense pas qu’un livre m’ait jamais redonné le moral, seulement emportée loin, très loin de mon quotidien. En revanche, je me souviens avoir éclaté de rire en lisant certains passages du Club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia. Pour autant, je n’ai pas ri de bout en bout, car ce n’est pas franchement un livre comique. Il faudrait que je demande à mon mari, J.-C., je suis sûre qu’il se souvient s’être fait harceler à cause des passages drôles d’un livre. Sinon, Gaston Lagaff marche à tous les coups et depuis toujours.

Que penses-tu du e-book (livre numérique). Pour ou contre ?
A priori, je trouve le concept génial. Quelle économie de papier, quel gain de place et de poids pour mes frêles épaules ! Mais une fois, une seule, j’ai voulu télécharger un livre sur mon iPad, parce que j’étais en panne de livre. Et le réseau n’était pas assez puissant, sans compter la très maigre sélection proposée. Alors entre ça et mon petit côté collectionneuse qui aime avoir une jolie bibliothèque, je ne sais pas si je me convertirai. D’autant que j’aime mesurer la progression de ma lecture en tournant les pages, et voir leur nombre augmenter dans ma main gauche alors qu’il diminue à droite… Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que l’e-book détrône le papier de si tôt. Pour ma part, je serai bien du genre à lire sur une tablette, puis à aller acheter la version print pour la mettre dans ma bibliothèque (hum, c’est un peu tordu, non ?)

Quels sont tes coups de cœur et/ou recommandations de la rentrée littéraire de janvier 2011 et/ou rentrée de septembre 2010 ?
La rentrée littéraire est un domaine dans lequel je suis toujours un peu larguée mais s’il faut vraiment donner une réponse, j’ai été très marquée par Sukkwan Island de David Vann. Je pense que je n’avais jamais rien lu de semblable. C’est un texte implacable et irréprochable. Une histoire à la fois inédite, inouïe et monstrueuse. De celles qui font date. Il est trop tôt pour décider que David Vann marquera une génération, mais si ses prochains textes sont de la même efficacité, il se pourrait qu’à mes yeux, il incarne une nouvelle génération littéraire… Mais c’était quelle rentrée littéraire, déjà ?

Un grand merci, Anne-Laure, du temps accordé !

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3 Commentaires

    • beebop sur 11 mai 2011 à 15 h 39 min
    • Répondre

    ah!le coup de la lecture sur les produits d’entretien,j’ai un souvenir très vif des séances de lecture sur la bouteille de HARPIC aux toilettes (eh oui, dans les années 70 les parents n’étaient pas prudents..)..joli clin d’oeil..

  1. Ça fait des tentations tout ça… (et des points communs aussi. D’où les tentations…)

  2. A propos des livres nordiques, Jo Nesbo fait la une depuis deux jours… Je viens de terminer The Leopard (cf lien), son dernier polar. Son premier roman évoquait le nazisme en Norvege. Je ne l’ai pas encore lu. Rouge Gorge.

    Anne Laure donne envie de lire ses coups de coeur… Je ne connaissais pas Herbjørg Wassmö par exemple, norvégienne, elle aussi.

    Dans un style léger, je suis plongée depuis hier dans un polar qui vient de sortir en France, Les plumes du dinosaure, écrit par une biologiste danoise, prix du meilleur roman danois en 2010, et élu meilleur roman noir de la décennie par le Crime book club. J’en suis au début… J’en apprend beaucoup sur la paléontologie…

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