Autofiction et atteinte à la vie privée : Nicolas Fargues gagne son procès contre son ex

Suite à la parution de son roman à succès « J’étais derrière toi » en 2006, une autofiction inspirée de son divorce, Nicolas Fargues s’était vu attaquer, cinq ans après, par la mère de ses enfants, Ngamala Anasthasie T., une journaliste, dépeinte comme une épouse tyrannique dans le roman, pour atteinte à sa vie privée. A l’inverse de l’ex de PPDA, celle-ci n’a pas eu gain de cause…

En effet, le Palais de justice de Paris a estimé qu’au nom de la «liberté de création», l’écrivain devait être acquitté. La plaignante réclamait la coquette somme de 150 000 euros de dommages et intérêts et a renoncé à faire appel.

En effet, le tribunal reconnaît ici que «la liberté de création doit être considérée comme la forme la plus aboutie de la liberté d’expression dans un régime démocratique». Et «comme telle» elle «doit être protégée de manière à pouvoir s’exercer dans les meilleures conditions de sécurité».

En vertu des dispositions du Code de la Propriété intellectuelle et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les juges statuent que «liberté de création et droit d’auteur sont indissociables et impliquent pour l’auteur d’une oeuvre de l’esprit le droit premier de divulguer son oeuvre au public». L’autofiction, qui «prend très directement sa source dans la vie réelle de l’auteur et, par voie de conséquence, dans celle des personnes qui (…) partagent son existence ou y sont mêlées, doit, sous peine de disparaître, pouvoir être pratiquée dans un maximum de sécurité juridique». En conséquence, ce genre littéraire «ne saurait être entravé, voire annihilé, par une protection trop rigoureuse de la vie privée des personnes concernées».

Une faveur dont n’aura pas bénéficié PPDA lourdement condamné pour son roman «Fragments d’une femme perdue». Le Nouvel Observateur invoque comme raison, le fait que ce dernier avait médiatisé sa relation avec son ex-maîtresse, ce qui n’était pas le cas de Nicolas Fargues, qui avait de plus toujours conservé de bonnes relations avec son ex-femme (cette dernière l’ayant même interviewé à la radio lors de la sortie du livre !).

Mais lorsque l’on creuse un peu plus, les accusations étaient a priori sensiblement différentes. En effet Agathe Borne reprochait à l’ancien présentateur du JT d’avoir plagié sa correspondance intime (11 lettres et textos) pour nourrir son livre. Son avocate avait ainsi argué : «il n’y a en aucun cas création artistique. Patrick Poivre d’Arvor s’est contenté de compiler son agenda pour raconter son histoire avec ma cliente

Le tribunal avait donc considéré que « les procédés littéraires utilisés ne permettent pas au lecteur de différencier les personnages de la réalité, de sorte que l’œuvre ne peut être qualifiée de fictionnelle ».
Il a également estimé que la reproduction de lettres d’amour dans le roman constitue bien une « contrefaçon » et viole les droits de son auteur, puisque aucune correspondance ne saurait être diffusée sans l’autorisation de celui ou de celle qui l’a rédigée.

En effet la jurisprudence n’a jamais validé les atteintes à la vie privée dans le domaine d’une oeuvre d’auteur à caractère fictionnel. L’ex-mari de Camille Laurens avait ainsi été débouté, lorsqu’il a porté plainte pour atteinte à la vie privée après la sortie de «L’amour, roman», et Marianne Denicourt n’a rien pu obtenir non plus face au «Rois et Reines» d’Arnaud Desplechin (cf : extrait du jugement ci-dessous en commentaire).

Ce jugement n’est donc pas étonnant et confirme la ligne suivie jusqu’à présent par la justice en matière de création littéraire.

4 Commentaires

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    • Bénédicte sur 18 août 2012 à 17 h 12 min
    • Répondre

    [FB]
    j’ai bien suivi l’affaire ppd . Cela n’a effectivement rien à voir et je suis ravie de la décision de ce tribunal pour Nicolas Fargues. Cela a-t-il un lien avec ce que l’on nomme la jurisprudence Picasso? (que ppd avait alors invoqué pour sa défense)

    • Laurence sur 18 août 2012 à 17 h 14 min
    • Répondre

    [FB]
    Oui, Alex, mais si Nicolas (Fargues) a gagné, c’est aussi et avant tout parce que son ex-femme a porté plainte 5 ans après les faits. La décision juridique aurait peut-être été différente si la plainte avait été déposée au moment du succès du roman, quand « ils » ne s’entendaient vraiment plus du tout…

  1. [FB]
    @Bénédicte, oui en effet le distingo est bien fait entre les deux affaires, a priori rien à voir avec la jurisprudence picasso, ce qui a surtout motivé les juges est que l’oeuvre restait bien une création artistique, avec laquelle les faits réels ne pouvaient être confondus, cette femme étant inconnue du public et n’ayant pas invoqué de plagiat de sa correspondance.

    @ Laurence je ne pense pas… certes, la durée de 5 ans a certainement joué aussi en sa défaveur, ça sent vraiment l’opportuniste (suite à affaire ppda) mais a priori le jugement ne mentionne pas cet élément comme décisif, d’ailleurs d’autres affaires ont échoué malgré des délais d’attaque courts (cf : cas camille laurens et desplechin).

    Voici par ex, un extrait du jugement qui déboute l’ex de Desplechin, M.Denicourt:

    « Une oeuvre de fiction »

    La 17e chambre du TGI, présidée par Anne-Marie Sauteraud, fait remarquer dans son jugement, rendu hier lundi : « Tout en soutenant qu’elle peut être identifiée par le spectateur au personnage de Nora, la demanderesse relève elle-même le défaut de ressemblance de ce prétendu portrait et, spécialement, les très nombreuses différences qui rendent particulièrement aléatoires ces identifications. » Sur la frontière réalité/fiction, le tribunal ajoute : « S’il est incontestable qu’Arnaud Desplechin, comme le souligne également la critique, a construit ce film autour de sa propre personnalité, de ses obsessions, de son histoire et de celle de ses proches, qu’il n’a pas hésité à s’annexer, il a créé une oeuvre de fiction qui ne saurait se réduire aux identifications alléguées en demande« .

    Ce qui est intéressant de voir c’est que le Tribunal reconnaît bien le droit à un auteur de pouvoir s’inspirer de son vécu pour créer (le mot est important : il s’agit d’une création, donc oeuvre de fiction, et non la retranscription d’un réel documentaire). Et ça me paraît rassurant et sain !

  2. Avec la posture d’ écrivain que j’incarne, je suis heureux que cette affaire ce soit achevé dans de bonne condition et permettre à Nicolas fargues de continuer son bout de chemin jusqu’à présent dans l’apparition de ses nouvelles œuvres littéraires.

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