« 11 femmes, 11 nouvelles » (Camille de Peretti, Jessica L. Nelson, Audrey Diwan, Anna Rozen…) : Variations sur l’identité féminine

A l’occasion de leur cinquante ans, les éditions « J’ai lu » qui se revendiquent comme « la plus féminine des maisons d’édition de poche » choisit de donner exclusivement la parole aux femmes, « héritières et filles des féministes » et de les interroger sur l’identité féminine, dans un beau recueil de nouvelles « 11 femmes, 11 nouvelles ». Et de répondre plus particulièrement à la question : Etre une femme aujourd’hui, est-ce seulement avoir un corps de femme ? En parallèle, le photographe portraitiste Olivier Roller illustre par des portraits intimistes voire naturalistes (voir ci-dessous) des 11 auteurs (écrivain, journaliste, éditrice…) leurs onze nouvelles inédites qui explorent la féminité à travers des situations tour à tour douloureuse, surprenante ou cocasse. Un tour d’horizon qui se lit avec intérêt même si l’on pourra regretter une vision finalement bien traditionnelle de l’identité féminine qui reste cantonnée à son rôle de séductrice ou de victime des hommes… Pour ces romancières, il semble que oui, être femme passe avant tout par le corps.

Audrey Diwan et Jessica L.Nelson ont choisi, toutes deux, de confronter la femme à son identité de proie sexuelle. La première révèle un douloureux souvenir enfoui par son héroïne (masseuse de profession) à la faveur d’un rêve de nudité tandis que la seconde livre à travers les confessions d’une attachante inconnue une vision inattendue du plus vieux métier du monde mais ose aussi casser, avec humour, quelques mythes de l’éducation amoureuse en général et du baiser en particulier (voir extrait ci-dessous) !

Camille de Peretti n’est pas en reste et construit également son récit autour d’une chute très réussie à travers le personnage émouvant de « Lola », sorte d’Orlando moderne (roman de Virginia Woolf que Camille de Peretti apprécie tout particulièrement) qui nous démontre avec brio « l’absurdité des lois de la nature » (impossible d’en dire plus sans déflorer tout l’intérêt du récit).

La plus drôle reste Anna Rozen qui, dans une veine surréalistico-loufoque, décide un beau matin de vendre son corps sur e-bay : « Mon corps m’encombre, j’ai décidé de le vendre sur e-bay. Finalement, un corps qu’on trimballe depuis trop d’années c’est comme les livres qu’on a déjà lus, les vêtements qu’on a plus envie de porter, les DVD qu’on a assez regardés, les CD qu’on connaît par cœur et tout ce fatras qui prend beaucoup de place pour pas grand-chose. » Et de nous expliquer par le menu comment elle s’emploie à cette étonnante (et très cocasse !) mission.
A découvrir également les nouvelles de Tania de Montaigne qui interroge l’identité de la femme noire et « mulâtre » en remontant dans l’histoire de l’Amérique de l’esclavage dans les plantations du Sud, Brigitte Giraud qui confronte une petite fille à un petit garçon ou encore Yasmina Jaafar, Stéphanie Polack, Catherine Castro, Olivia Elkaim et Anne Plantagenet.

Extraits choisis:
Audrey Diwan (« Toute nue ») :
« C’était vrai. Il y avait eu tellement d’hommes pour enlever mes vêtements, tellement d’yeux posés aux quatre coins de mon anatomie. Ma nudité était un secret de Polichinelle. Mon corps entier était devenu un lieu public où chacun se sentait libre de passer un moment. Si j’étais née une génération plus tôt, on aurait dit de moi que j’étais une fille facile. Mais les temps ont changé, les étiquettes aussi. Désormais on dit juste que je suis une fille moderne. »

Jessica L. Nelson (« Je ne suis pas une fille facile »)
« Cher Monsieur, je ne suis pas une fille facile : mon cœur a la profondeur d’un puits dans lequel je trébuche souvent, ce qui ne m’empêche pas d’y replonger avec délectation lorsque mes vêtements sont à nouveau secs. (…) De l’expression affreuse rouler une pelle est sans doute née une des confusions les plus dramatiques de l’histoire du baiser : l’acharnement des candidats à tourner à toute allure dans le sens des aiguilles d’une montre leurs langues. A croire qu’on voudrait transformer la salive en oeufs à la neige. On parle de ceux qui baisent comme des lapins, on devrait aussi évoquer ceux qui embrassent comme le hamster court à l’intérieur de sa roue. »

Anna Rozen (« A vendre »)
« Dans quelle(s) catégorie(s) mon corps pourrait-il trouver sa place ?
Tout en haut de la liste, ordre alphabétique oblige : « Art et Antiquités ». Non merci, ni cet excès d’honneur ni cette indignité !
Beauté, bien-être, parfum » vu qu' »Humanité, vie, odeurs » n’est pas une catégorie existante, ça pourrait coller, il n’est pas mauvais de surestimer légèrement ce qu’on veut vendre.
Jeux, jouets, figurines. » Pourquoi pas ? J’ai beau dire que je ne suis pas un objet, dans un certain nombre de circonstances privées que, pour une fois, je ne raconterai pas, je me doute que celui ou celle qui se portera acquéreur aura des intentions ludiques, car que faire d’un corps, n’est-ce pas ?
Disons que mon corps est une figurine grandeur nature, articulée, réaliste, réactive… ça doit bien valoir quelques sous, tout ça !?
 »

Camille de Peretti (« Lola »)
« Tout ce que je sais de Lola, c’est qu’elle danse seule devant sa glace. Elle aime se regarder danser, même si ce n’est pas parfait. Ca ne le sera jamais. L’appartement est propre et bien rangé. Avec de gros coussins dorés sur le canapé et des napperons en dentelle sous les porcelaines du buffet. La glace est grande, Lola sourit et virevolte, ondule. Tout ce que je sais de Lola, elle ne me l’a pas dit, je l’ai deviné. »

Pour commander le recueil de : « 11 femmes, 11 nouvelles »

En complément, à consulter les dossiers : « Les nouvelles amazones littéraires, place aux filles ! » (avec notamment Lucia Etxebarria qui dresse un superbe tableau de la féminité à travers les trois soeurs d' »Amour, prozac et autres curiosités ») et « Identification d’une femme » avec Chloé Delaume, Virginie Despentes, Emilie Frèche, Bénédicte Martin…

7 Commentaires

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  1. Qui est l’auteur des photos? Elles me plaisent bien. 🙂

    Pour le thème comme le choix des sujets de nouvelles, ça sent quand même le super-convenu, super-rabâché, super-attendu. Quand je vois ce genre de recueil, ça me fait de suite penser à ce que disait Coralie Trinh Thi dans Porno Manifesto (l’itw qu’elle donne à Ovidie) "Je ne me sens pas femme, mais être humain avant tout." J’aimerai bien qu’on en arrive à penser comme elle…

  2. Ah autant pour moi Olivier Roller aux photos donc.

  3. Dahlia n’ayant pas lu les nouvelles en question, comment peux-tu décréter que cela sent le "super convenu" ?

    Certes on peut avoir un premier ressenti face aux quelques infos distillées dans l’article mais c’est un peu vite jugé tout de même non ?
    La nouvelle d’Anna Rozen est en particulier très originale.

    Sur les photos, je trouve comme toi que c’est une bonne idée qui se prête bien au sujet. Loin des images de papier glacé, elles sont assez troublantes. Cela ne se voit pas forcément sur petit format mais tu verras dans le recueil, le photographe n’a pas cherché à camoufler une cerne ou une cicatrice par exemple.
    Bonne lecture ! 😉

    A signaler aussi un autre recueil sur le même principe collectif sur le thème de la maternité publié en 2006 avec Marie Darrieussecq, Héléna Villovitch, Agnès Desarthe, Marie Desplechin, Camille Laurens, Geneviève Brisac ou encore Catherine Cusset… :
    http://www.buzz-litteraire.com/i...

  4. Pour les photos, ça se vot même en petit format que ce n’est pas (trop) retouché. Il a bossé ses lumières disons Monsieur Roller 😉

    Oui, je préjuge souvent, mais j’ai fait de la sociologie et le préjugé n’est pas une mauvaise chose, car il permet de bonnes surprises quand on accepte de le dépasser, ce que je fais très souvent.

    Là ce qui me dérange, c’est toute cette littérature "anthologique" sur les identités, identifications… Tu vois c’est comme quand je vois des rayons littérature gay et lesbienne, ça a tendance à me faire bondir. Comme si ces histoires de cul ou d’amour devaient être spécifiquement classées dans cette case… Ce sont avant tout des histoires de histoires de cul ou d’amour point-à-la-ligne. Que l’on classifie la littérature de genre comme la sf ou le policier, ça me parait logique, mais pour ça?

    Il y a qq années, pocket faisait ça avec des nouvelles érotiques écrites par des femmes genre "désirs de femmes", "fantasmes de femmes" comme si la littérature érotique féminine se devait d’être bien distincte de celle des "hommes". J’ai souvent trouvé ces textes over-chiants…

  5. Oui tu as raison la lumière joue aussi beaucoup dans le rendu si particulier de ces photos.

    Je suis plutôt d’accord sur la question des rayons littérature gay et lesbienne qui ghettoïsent plus qu’autre chose (en revanche je trouve intéressant d’avoir des classements thématiques littéraires de façon générale pour avoir des repères).

    Par contre cette extrapolation ramenée au recueil est un peu exagérée… Je pense qu’ils ont voulu avant tout utiliser un fil conducteur commun pour toutes ces nouvelles.
    Après, il aurait peut-être été intéressant d’y croiser des regards masculins mais le fait que ce ne soit que des femmes donne aussi une originalité spécifique.
    Honnêtement par curiosité, j’ai essayé de me poser cette question (ce que c’est que d’ « être une femme ») et je n’arrivais pas vraiment à trouver de réponse (hormis les stéréotypes)…

    Je crois que se poser ce genre de question sur l’identité féminine est déjà en soi quelque chose de typiquement féminin ;- )

  6. Ah, je suis contente de voir que tu as chroniqué ce recueil Alexandra. Cela me fait sourire aussi. Je rentre de "voyage" et pendant mon absence je me suis dit qu’il fallait que je t’en parle, te propose aussi un papier à mon retour …

    Par ailleurs je suis assez d’accord avec ta critique. J’ai aimé ce recueil. Ces onze nouvelles ont le mérite de parler de la femme, de l’identité féminine mais avec une vision moderne, baignée de notre époque. La nouvelle d’Anna Rozen en est un bel exemple ! Le texte est très réussi, inventive, cocasse oui mais aussi tellement juste.
    Au début j’avais un peu peur de me retrouver face à un "traité féministe". Et en fait non, pas du tout. La question à l’origine de ce recueil " Etre une femme aujourd’hui, est-ce seulement avoir un corps de femme ? " ne date pas d’aujourd’hui, n’est pas sans possible contradiction et le risque d’un recueil bêtement engagé, purement revendicatif existait réellement. Si le sujet est "convenu", les approches ne le sont pas. Il y a toujours un élément ou presque qui est venu briser le potentiel traditionalisme de la réponse. Au-delà des points communs, de l’idée que oui, le corps contribue à l’identité féminine, j’ai trouvé que les onze points de vue ne manquaient pas de nuances, de différences, voire de divergences. Evidemment, certaines nouvelles sont plus convenues que d’autres, plus attendues. Mais l’originalité, l’intensité, l’humour et l’audace des autres équilibrent très bien ce recueil. Et très vite, la question disparait au profit de onze portraits de femmes, toutes attachantes, troublantes, fragiles ou féroces. Il en résulte un beau portrait de la Femme, aux multiples visages. Toujours insaisissable.

    Mes coups de coeur sont les mêmes que toi. Anna Rozen, Jessica Nelson, Catherine Castro, Camille de Peretti et Audrey Diwan.

    A bientôt 😉

    • laurence biava sur 19 mai 2008 à 23 h 37 min
    • Répondre

    Le moins que l’on puisse dire, c’est que vos opinions à toutes les trois réunies Dahlia- Alexandra- Anne-Laure m’ont réellement envie d’acheter le bouquin ! J’ai peut-être une préférence pour l’extrait de Jessica Nelson, je le trouve très subtil. Mais ne préjugeons de rien ; lisons.
    a plus

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