Le concept de « rentrée littéraire » (et panorama des tendances de la rentrée 2008) 2/2

Suite de notre tour d’horizon de la rentrée littéraire 2008… Qui dit « tri » dit « décryptage » et « tendances ». Tentative d’un panorama (en forme de patchwork)…


Par exemple en cette année 2008, on nous dit que la rentrée est notamment placée sous le signe des « romans-monde » encore appelés par le magazine Transfuge qui y consacre ce mois-ci une petite enquête, « roman d’aventures expérimental ». D’après ce dernier il ne serait plus « une suite de péripéties mais un « hybride entre questionnement des mythes et rêverie débridée » qui n’hésite pas à détourner les codes traditionnels et à faire preuve de modernité. Entre Umberto Eco et Gabriel Garcia Marquez…
La presse a beaucoup loué les mérites de « Zone », 3e roman de Mathias Enard, un roman d’espionnage en forme d’épopée ferroviaire à tendance épique et géopolitique, écrit en une seule phrase (oui, oui !). « Là où les tigres sont chez eux » de Jean-Marie Blas de Roblès, distingué par les adhérents et les libraires de la Fnac comme « Meilleur roman de la rentrée », qualifié de « roman encyclopédique et mystificateur » par le Figaro soit les aventures d’un journaliste au Brésil qui mène une enquête sur un mystérieux jésuite, Athanase Kircher. Un roman baroque qui brasse de multiples savoirs.
Bon buzz, critique toujours, autour d’ « Arbre de fumée » de Denis Johnson, vaste fresque sur la guerre du Vietnam ayant remporté le National Book Award en 2007. Manuel Rivas signe également un roman-monde, « L’Eclat dans l’abîme » sur la Galice, avec pour point de départ un autodafé datant de 1936 au port de La Corogne, sa ville natale. Le romancier chinois Ma Jian signe l’impressionnant « Beijing Coma », immense saga sur la Chine moderne avec pour héros un étudiant plongé dans le coma après avoir été blessé à la tête au cours de la tragédie de Tiananmen. Patrice Pluyette vous embarque, lui, dans une folle équipée vers le Pérou dans « La traversée du Mozambique » et revisite, sur un ton parodique, la ruée vers l’or des ancêtres du héros à la recherche d’une ancienne cité enfouie dans la jungle…

Le géant des lettres américaines Pynchon (traduit par Claro) vous entraîne lui, dans « Contre-jour », dans un vertigineux voyage (de plus de 1000 pages tout de même !) de l’Exposition universelle de Chicago de 1893 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, à Paris, de Venise à Londres, de Vienne à Göttingen, des Balkans jusqu’à Tunguska.
Un roman polyphonique et transgenre (fantastique, espionnage, aventure…) qui suit la famille Traverse : Webb, mineur et as de la dynamite est tué sur ordre du magnat Scarsdale Vibe laissant ses descendants hantés par sa mort, certains bien décidés à le venger, d’autres déjà avalés par les contradictions du siècle naissant. Autour d’eux gravitent une myriade de figures hautes en couleur, qui toutes ont un compte à régler avec le pouvoir. Veillant sur ce petit monde, quelque part dans un monde parallèle : les Casse-Cou, bande de joyeux aéronautes tentant de défier les lois de la gravité et qui suivent, avec le lecteur, non sans inquiétude, la lente montée des périls. A signaler également le retour de la prolixe Joyce Carol Oates qui signe une impressionnante peinture de l’Amérique des années 1940-1970 dans « La Fille du fossoyeur ».

L’introspection, l’intime occupe encore une belle part des publications : désordres et blessures familiaux, fêlures du temps, deuil d’un être cher ou encore traumas de l’enfance sont au coeur de romans comme celui de Jean-Louis Fournier avec « Où va-t-on, Papa » sur l’handicap de ses enfants, « Lacrimosa » de Régis Jauffret sur le suicide d’une amie-amante, « Les Bains de Kiraly » de Jean Mattern sur les remords d’un homme ayant abandonné femme et enfant, « Sans elle » de la jeune auteur Alma Brami qui se glisse dans la peau d’une fillette face à la mort tandis que Julia Leigh met en scène dans « Ailleurs » un sujet désormais récurrent, le deuil d’un enfant à travers un couple qui ne parvient pas à se séparer de son bébé mort… Jean-Paul Dubois explore les affres de la middle-life crisis dans « Les accommodements raisonnables », les incontournables Catherine Millet ceux de la jalousie dans « Jour de souffrance » et Christine Angot les difficultés (préjugés) d’un couple mixte dans « Le marché des amants », tandis qu’Alice Ferney creuse toujours le sillon des couples à travers la peur d’être quittée dans « Paradis conjugal ». Enfin côté américain, gros buzz autour de Richard Ford qui dépeint dans « L’état des lieux » le bilan d’un homme atteint d’un cancer qui fait le point sur sa vie, prétexte à interroger l’identité américaine.

L’adolescence, ses bandes, sa violence, son ennui sont aussi au cœur de deux romans remarqués, « Corniche Kennedy » de Maylis de Kerangal et « Polichinelle », premier roman de Pierric Bailly. A citer également deux vrais-faux journaux de lycéen/collégien, « Encore un jour sans massacre » de Théo Diricq et « Journal d’un dégonflé » de Jeff Kinney qui retracent les désillusions et les amertumes de cet âge difficile (voir billet sur Les teen-novels de la rentrée 2008).

Le roman « social » comme on l’appelle s’affirme aussi en bonne forme avec un engouement critique autour de « La Meilleure part des hommes » de Tristan Garcia sur les années sida dans les 80’s, époque que fait aussi revivre Mathieu Riboulet avec « L’Amant des Morts » tout en traitant aussi de l’inceste (le héros est abusé par son père), ce qui rappelle aussi le « Rétro » d’Olivier Bouillère paru à la rentrée littéraire de janvier dernier. Frédéric Ciriez évoque dans son premier roman « Des néons sous la mer » le milieu de la prostitution à travers un récit d’anticipation loufoque ayant pour cadre « une maison de joie située en baie de Paimpol », sujet également abordé par Jeanne Benameur dans « Laver les ombres », Seth Greenland dans « Un patron modèle » ou Marie Nimier dans « Les Inséparables », Tristan Jordis dépeint, lui, le quotidien des toxicomanes de Porte de la Chapelle dans « Crack ». A noter le retour de l’excellent écrivain italien Nicolo Amaniti, avec « Comme Dieu le Veut » (prix Strega en Italie) qui nous plonge dans la tourmente et la déchéance d’une famille d’exclus en Italie et dépeint son cortège de pauvreté, chômage, alcoolisme et violence… A découvrir aussi ses romans de sa période « Cannibale ».
L’égérie de la jeunesse des banlieues parisiennes, Faïza Guène, est de retour avec un roman choral pétri « d’humanité » sur les communautés « qui vivent au bout des RER » intitulé « Les Gens du Balto ». Sans oublier l'(autre) géant des lettres américaines, William T. Vollmann, qui livre un document sur les déshérités de la planète, « Pourquoi êtes- vous pauvres ? ».

Côté auteurs que l’on pourra qualifier de « nouvelle génération », on continue de s’essayer au « roman rock » avec plus ou moins de bonheur : Dans « Petit déjeuner avec Mick Jagger », Nathalie Kuperman imagine une jeune femme qui s’invente une histoire avec Mick Jagger, son idole de jeunesse pour s’évader de son quotidien difficile, Amanda Sthers joue la carte de l’autofiction à travers la vie de Keith Richards, le mythique guitariste des Rolling Stones (décidément très inspirant pour les romancières !) dans « Keith Me », tandis qu’Ariel Kenig retrace l’amitié-fascination de deux adolescents sur fond de « New wave » (Cure, etc), titre éponyme du roman.
Dans « Vue sur la mère », Julien Almendros règle ses comptes avec l’envahissante figure maternelle, sujet de la maternité également au centre du roman de Valentine Goby, « Qui Touche a Mon Corps Je le Tue » qui aborde elle l’avortement à travers le portrait d’une faiseuse d’anges, l’une des dernières femmes à être guillotinée, dans les années 1940.
Et puis il y a aussi toutes ces filles, Aude Walker (« Saloon »), Angie David (« Marilou dans la neige »), Tristane Banon (« Daddy frénésie »), Karine Tuil (« La domination ») Claire Castillon (« Dessous c’est l’enfer »), Nina Bouraoui (« Appelez-moi par mon prénom »), qui nous parlent de leur petit univers: leurs problèmes avec leur mère, leur père, leur trajectoire, leur vie conjugale ou leur passion amoureuse…
On regrettera pour certaines un style plus journalistique que littéraire.

Leurs confrères ne sont pas en reste et sont très inspirés par le couple qu’ils explorent dans une veine décalée et loufoque à l’image de Martin Page (« Peut-être une histoire d’amour »), Régis de Sa Moreira avec « Mari et femme » (titre woody-allénien s’il en est !), David Foenkinos (« Célibataires », « Nos séparations ») ou encore Jérôme Attal qui donne une suite à l’Amoureux en lambeaux, son premier roman avec « Le garçon qui dessinait des soleils noirs ». A l’image de Stéphane Audeguy lors de la rentrée littéraire de septembre 2006 avec « Fils unique », Jean-Baptiste Delamo choisit de revisiter le thème du libertinage dans « Une éducation libertine », en replongeant dans le siècle des lumières à travers la figure d’un jeune Quimpérois sans le sou débarquant dans le « nombril puant et crasseux de la France » : Paris ! Il deviendra un homme « sans morale », « à l’image du siècle » sous l’influence de son mentor, le comte Etienne de V. Un roman dans la veine de Sade ou de Laclos, plébiscité pour son écriture très charnelle, à la fois « brute et distinguée » (il a notamment reçu le prix Laurent-Bonelli Lire et Virgin Megastore).

Enfin une rentrée littéraire de septembre n’en serait pas vraiment une sans ses petits scandales et autres polémiques. L’an passé on s’excitaillait sur une histoire d’enfants congelés ou encore une bien curieuse affaire de « plagiat psychique ». Cette année on essaie de s’échauffer, tant bien que mal, sur une histoire d’amour entre une starlette du rap et une romancière qui ressemble plus à une ambulance ou encore de ranimer l’aura sulfureuse d’une hardeuse littéraire nommée Catherine M… Bon ça reste un peu mou du genou pour l’instant mais ils vont bien vous trouver des trucs à vous mettre sous la dent ! [Alexandra, Aurélia et Marianne]

Lire la 1e partie : Le concept de « rentrée littéraire » (et panorama des tendances de la rentrée 2008) 1/2

5 Commentaires

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  1. "Et puis il y a aussi toutes ces filles, Aude Walker ("Western"), Angie David ("Marilou dans la neige"),"

    Attention pour le Aude Walker, le titre exact est Saloon 😉
    J’ai pu lire le Angie David en avant-première, j’en parlerai en temps utiles vu qu’il n’est pas encore sorti, mais il est beaucoup intéressant que s’il donne à voir au premier abord…

  2. (rho la bourde !)
    Merci ma chère Dahlia, l’oeil de lynx du web, c’est corrigé !
    Bon tu m’excuseras mais a priori je vais passer mon tour pour toute cette belle moisson de ces dames qui ne me tente pas vraiment…
    Je souffre d’une franche allergie aux livres-magazines et écriture journalistique….

    Bon sinon je vous informe de la mise en ligne d’un dossier "La rentrée littéraire à quoi ça sert ?" fort intéressant où vous pourrez retrouver votre humble serviteur Buzz littéraire, sur le site Contre-feux :
    http://www.contre-feux.com/debat...

    Est notamment proposée une interview de ce cher Dantec (qui publiera à la rentrée de janvier : "Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute") qui ne manque pas de déverser sa bile sur ses petits camardes de la rentrée.

    Extraits de l’interview :
    Le problème majeur de la littérature contemporaine selon lui (à noter qu’il précise n’avoir lu aucun livre de la rentrée)
    "Qu’elle n’est que contemporaine. Engluée dans le quotidien et ses poncifs. La littérature française est atteinte d’un mal chronique : les autobiographies exposant un microcosme parisien sans intérêt pour le lecteur se multiplient."

    Il commente aussi l’adaptation de Babylon Babies dont nous vous parlions :
    "Le film ne respecte pas les fondations mêmes du roman, il ne pouvait dès lors qu’être raté, tant sur le plan de l’écriture, que sur le plan du casting, ou sur celui des choix de production-réalisation."

    • laruence biava sur 11 septembre 2008 à 12 h 52 min
    • Répondre

    Alexandra,
    quelqu’un te l’a peut-être signlé mais le titre précis du roman de Angot, est "Le Marché des AMants" et non le manège. (remarque…)
    A plus

    Réponse : Décidément ! Merci Laurence, autre oeil de lynx du web pour cette correction réalisée. Je crois que cela dénote une très grande motivation sur tous ces titres, ah hum … lol Alexandra/Buzz littéraire

  3. Combien de dossiers de presse recopiés pour ce papier ?

    Réponse : hé oh cet article n’a pas d’autre prétention que de présenter une synthèse des échos/buzz divers et variés de la rentrée 2008, pour ceux qui n’auraient pas le temps d’éplucher la presse ou la toile, tout simplement ! Alexandra/Buzz littéraire

  4. Commentaire d’une lectrice
    L’écriture est intense, comme la teneur du roman. Je suis née juste après guerre et mes parents m’ont beaucoup parlé de ces persécutions innommables. Cependant, J.-P. Angel m’a émue plus d’une fois au long des pages de ce roman.
    Une histoire poignante, dans la lignée de Un sac de billes
    Le Peigne en Ecaille
    Jean-Pierre Angel
    Parution le 1er octobre 2008

    Éditions de l’Archipel, Paris
    18,95 €
    ISBN 978-2-84187-937-3
    H 50-4857-4

    « Parler est digne. Parler est humain. Dire est indispensable. Et la vigilance est un devoir. Ce beau livre, émouvant et fort, en atteste. »
    Joseph Joffo

    Le difficile parcours du deuil et du renoncement
    Après la rafle du Vel d’Hiv, Simon Crespi, un jeune Juif, parvient à s’échapper du camp de Beaune-la-Rolande. Seul dans Paris, sans papiers d’identité, sans carte de rationnement mais aussi sans étoile jaune, le garçon erre dans les rues, mené par une seule interrogation : qu’est-il advenu de sa famille ?
    Une amie lui obtient de faux papiers pour passer en zone libre ou il est pris en charge par sa tante. A Villefranche-de-Rouergue, Simon retrouve une communauté juive clandestine. Ce qui n’atténue guère le vif sentiment d’abandon qu’il éprouve. A la Libération, il entreprendra des démarches pour retrouver ses parents déportés. En vain. Un peigne en écaille, c’est tout ce qui reste de sa mère. Simon jette dans l’océan le dernier lien avec son passé alors qu’il vogue à bord du paquebot qui l’emmène vers le Nouveau monde.
    « Il m’a fallu de nombreuses années avant que je reconnaisse que j’étais un survivant de la Shoah », dit Jean-Pierre Angel, né à Paris en 1938. Ce roman, mûri depuis trente ans, s’appuie sur son expérience personnelle. C’est aussi un ouvrage de fiction, porté par la force de témoignages recueillis au cours d’années de recherche. Jean-Pierre Angel a contribué à la création de la Fédération des enfants juifs survivants, qui favorise les échanges et les témoignages de ses adhérents. Il vit entre Paris et Boston.
    Rappel format : 140 x 225 mm
    Épaisseur dos : 25 mm
    Code barre : 978-2-84187-937-3
    ISBN 978-2-84187-937-3
    H 50-4857-4-0809
    18,95  prix France TTC

    Les avis des premiers lecteurs
    le 27/02/08 [Anonyme]
    Émouvant
    J’ai adoré ce livre ! Il montre ce que les Juifs ont vécu mais par les yeux d’un enfant. Jusqu’à la fin, j’ai espéré avec cet enfant qu’il retrouve sa maman… J’ai eu du mal à trouver le sommeil ensuite… Bonne lecture !

    le 20/02/08 [Andrea]
    Poignant, émouvant !
    Ce livre vous saisit dès les premières pages et ne vous lâche pas jusqu’à la dernière. C’est l’histoire d’un enfant caché. On a beaucoup écrit sur les malheureux disparus dans les camps de la mort, mais on ne savait pas grand chose sur les tourments de ceux qui se sont cachés et ont attendu le retour des leurs. Leurs espoirs, leur désespoir, leurs désillusions… Ce livre vous reste en tête

    le 26/02/08 [Léonie Laborde]
    Très beau témoignage
    Il a su mêler l’imaginaire de l’écrivain aux faits réels. Livre très émouvant et très bien écrit ! Une autre facette de cette guerre vécue par un enfant.

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