Dans la bibliothèque des blogueurs… Christophe Greuet de Culture Café

Christophe Greuet (journaliste au Midi libre) anime avec passion (et exigence !) depuis 2005, « Culture Café », un blog culturel qui fait la part belle à la littérature contemporaine anglo-saxonne mais aussi française. Lecteur éclectique et pointu, ce montpelliérain, également passionné de cinéma de genre et technophile, a même organisé fin 2008 une grande enquête afin d’élire les 500 meilleurs livres sélectionnés par les internautes (avec pour le trio de tête : 1984 de G.Orwell, L’étranger d’Albert Camus, Voyage au bout de la nuit de Céline). Observateur et commentateur attentif de la littérature contemporaine, il a accepté de nous dévoiler sa (débordante !) bibliothèque mais aussi de révéler ses premiers coups de cœur de la rentrée littéraire de septembre 2010 ou encore réagir à l’e-book… :


Quel est le livre qui t’a marqué enfant et/ou ado et qui t’a donné le goût de la lecture ?
Je n’ai découvert la littérature qu’assez tard. Pendant tout le début de mon adolescence, j’ai lu presque exclusivement des livres de cinéma, allant des classiques du genre (comme le Hitchcock/Truffaut ou le Marilyn de Norman Mailer) à des encyclopédies américaines sur d’obscures séries B et Z. J’ai donc découvert le roman contemporain avec les livres qui avaient inspiré les films que j’aimais. Ce qui n’était, d’ailleurs, pas forcément un gage de grande qualité littéraire ! Mais le virus était là. Aujourd’hui, je passe beaucoup plus de temps à lire des romans qu’à regarder des films.

Le livre qui t’a fait comprendre ce que le mot « littérature » veut dire (claque littéraire)…
Probablement Un chien stupide et Bandini de John Fante. J’ai immédiatement enchaîné sur des auteurs d’à peu près la même époque (Kerouac, Hunter S. Thompson, Allen Ginsberg…). C’est aussi à cette époque que sortaient les premiers livres des auteurs que j’admire encore aujourd’hui : Bret Easton Ellis, Douglas Coupland, Chuck Palahniuk, Philippe Djian et quelques autres que j’oublie.

Le livre que tu aimes lire et relire, sans jamais t’en lasser…
Je ne relis jamais un livre, où presque. Il fait vraiment que sorte une nouvelle édition ou traduction, comme celle de Sur la route assez récemment. En premier lieu par manque de temps, car je préfère me concentrer sur l’actualité littéraire. Ce qui est assez paradoxal est que je suis incapable de me séparer de mes livres. Selon moi, les livres vivent dans la mémoire. C’est un processus qui d’ailleurs peut jouer des tours : un livre que l’on a adoré sur le moment peut perdre de sa “superbe” avec le temps, alors qu’un autre que l’on a pas aimé devient peu à peu un ouvrage auquel on tient. Mais pour moi, la confrontation d’un souvenir ou d’une impression avec la réalité du texte est presque toujours une déception. C’est pourquoi lorsque je veux relire un auteur, je trouve en général un texte que je ne connais pas.

Le livre que tu aimes honteusement
Bien que je pense qu’on ne devrait jamais avoir honte de ses lectures, je crois voir ce que tu veux dire. En l’occurrence ce n’est pas une honte, puisque je l’ai déjà dit et écrit plusieurs fois, mais je suis un fan d’Amélie Nothomb. Je découvre chaque année son nouveau livre avec une impatience jamais démentie, sans pour autant aller en pèlerinage à ses dédicaces comme font certains ! Pourtant, je ne comprends pas le mépris d’une certaine critique à son sujet. Mais bon… Vu le nombre de ses livres, j’ai souvent été déçu, en particulier quand elle se contente d’une grosse nouvelle peu maîtrisée, ce à quoi se résumait beaucoup de livres récents. Pour moi, Nothomb n’est jamais meilleure que dans ses textes les plus personnels, comme Stupeur et tremblements ou Ni Eve ni d’Adam. Une forme de vie, son nouveau livre qui sort en août, est à la fois un récit très intime et une fiction incroyable. C’est pour moi l’un de ses meilleurs textes.

L’auteur dont tu liras toujours tous les livres quoiqu’il advienne…
Ils sont nombreux, car je suis en général un lecteur assez fidèle, même avec les auteurs que j’apprécie moyennement (comme Auster ou Houellebecq). De ceux que je suivrai à vie, y a bien sûr Régis Jauffret, mon auteur français préféré, Amélie Nothomb donc, Bret Easton Ellis, Douglas Coupland, Chuck Palahniuk (même si je n’ai pas réussi à lire son dernier roman, écrit en message codé), William T. Vollmann, Thomas Pynchon, Jean Teulé, Philip Roth, et j’en oublie sûrement beaucoup… Sans parler des auteurs décédés dont je n’ai pas lu tous les livres, dont Hunter S. Thompson, Kerouac, David Foster Wallace ou encore le portugais José Saramago que j’adore, et dont la mort très récente m’a beaucoup touché.

Le livre que tu n’as jamais pu finir…
Là aussi, ils sont trop nombreux pour les citer. Je suis en général un amateur de gros ou très gros livres, mais il m’arrive de ne pas pouvoir tenir la distance et de laisser tomber en cours de route. Mais c’est assez rare, j’abandonne plus facilement encore de petits romans qui ne sont même pas capables de tenir leur ambition sur 250 pages. Je suis aussi totalement allergique à Patrick Modiano, qui malheureusement pour moi est un demi-dieu dans la littérature française. Les thèmes abordés ne m’intéressent pas, et la fameuse “Modiano’s touch” m’insupporte dès la première phrase. Finir un de ses romans est au dessus de mes forces !

Le livre que tu n’as pas encore lu et que tu veux absolument découvrir…
Là encore, ils sont nombreux, car la cadence infernale des parutions est une source permanente de frustrations, pour qui est très curieux comme moi. Mais j’espère que la rentrée littéraire me laissera cet été le temps de lire “Warlock” de Oakley Hall, qui attend en haut de la pile depuis sa parution fin 2009 aux excellentes éditions Passage du Nord-Ouest. C’est un ‘roman western’ datant de 1948, jamais traduit en France jusqu’à l’an dernier, qui est l’un des livres préférés de Thomas Pynchon. Mais il fait 800 pages écrites serrées, et j’attends les vacances pour m’y plonger.

Le livre que tu recommandes le plus de bouche à oreille…
Je constate que je conseille le plus souvent des livres qui ont été de vraies surprises pour moi, qui sont arrivés dans ma boite aux lettres sans que j’en connaisse l’existence. Près de deux ans après sa parution, je conseille toujours « Crocs » de Toby Barlow. Mais c’est un roman très difficile, écrit en vers, et dont les thèmes (les loups-garous dans un Los Angeles ultra-violent) peuvent facilement rebuter. J’ai aussi souvent conseillé ces derniers temps « L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet », un autre premier roman de Reif Larsen, dont j’ai beaucoup parlé sur Culture Café. Et, pour une lecture plus “mainstream” (encore que), le magnifique « Sukkwan island ».

Le livre dont tu aurais aimé être le héros/héroïne
Je ne sais pas si on peut parler de héros, mais j’aurais bien aimé vivre au temps de Hunter S. Thompson. Dans mon idée, il y avait à cette époque une vraie effervescence, sûrement une plus grande ouverture d’esprit, en particulier dans les milieux du journalisme qui me concernent en priorité. Et, même si je suis par ailleurs un technophile convaincu, il m’arrive d’être nostalgique d’un monde sans Internet, où les créations et les informations avaient le temps de circuler à vitesse humaine, sans être parasitées par des milliers de flux dont la plupart sont inutiles et seulement créateurs de frustration.

Le jeune auteur contemporain qui te semble incarner la nouvelle génération littéraire en France (et/ou à l’étranger)…
Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment un service à rendre à un jeune auteur que de faire peser sur ses épaules une telle qualification. Il y a beaucoup de gens dont le travail est très important pour leur génération, dont Bernard Quiriny ou Vincent Message. Mais je suis plus particulièrement attiré par le travail de Julien Capron, à mon avis le meilleur jeune écrivain français, qui a su créer en deux livres seulement un univers littéraire cohérent et très vaste.

Le livre que tu n’aurais jamais cru aimer / livre que tu ne voulais pas lire et pourtant…
Pendant mes études, j’ai connu une période où j’ai lu énormément des polars, pour me vider la tête. Depuis, je n’en ai quasiment plus ouvert aucun, probablement à cause des souvenirs laissés par les plus mauvais. Au début de l’année, un collègue spécialisé dans les romans policiers m’a fortement incité à lire “Les visages” de Jesse Kellerman. Comme le livre se déroule dans les milieux de l’art contemporain (qui est une autre de mes passions), j’ai tenté le coup, non sans crainte ! J’ai été bluffé de la première à la dernière page, ce qui m’a incité à suivre avec beaucoup plus d’intérêt tous les jeunes auteurs qui travaillent à renouveler le genre.

Ton livre page-turner : le livre que tu as lu en une nuit, sans pouvoir décrocher…
Euh… J’ai une assez mauvaise vue, donc j’évite de trop lire le soir. Cette histoire de livre « lu en une nuit » m’a d’ailleurs toujours beaucoup intrigué. Je ne suis pas sûr que tous ceux qui disent cela le fassent vraiment, mais c’est un autre problème !

Le livre qui t’a fait pleurer…
D’émotion ou dé dépit ? Je ne suis pas trop du style à sangloter sur un ouvrage, donc pour la première éventualité, je dirai aucun ! Par contre, la seconde est assez fréquente, malheureusement. Les livres tellement mauvais qu’ils donnent envie de pleurer sont hélas très fréquents ! Yann Moix doit être responsable d’une grosse partie des ventes de kleenex chez les malheureux qui se plongent dans ses livres, par exemple !

Le livre qui t’a fait rire
J’ai découvert assez récemment le travail de Will Self, et son dernier roman, “No smoking”, m’a vraiment fait hurler de rire. Je suis aussi un grand fan de Gary Shteyngart, en particulier de son premier roman “Manuel de savoir-vivre à l’usage des jeunes russes”, qui est l’un des livres les plus drôles de ces dernières années. J’ai aussi beaucoup ri pendant la lecture de “Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson” de Yann Moix, car à un tel niveau de ridicule il n’y a pas grand chose d’autre à faire !

Que penses-tu du e-book (livre numérique). Pour ou contre ?
Sur le papier, si j’ose dire, on ne peut que reconnaître que c’est une idée formidable. Possibilité d’emporter avec soi plusieurs centaines d’ouvrages, économie de papier, recherche plain texte, etc. Dans la réalité, je pense cependant qu’on ne peut juger le concept sans différencier le matériel du logiciel. Pour moi, les liseuses électroniques comme le Kindle ou le Sony Reader sont déjà des appareils dépassés. Je ne vois pas comment ils pourraient survivre à des “couteaux suisses” numériques tels que l’iPhone 4 ou l’iPad, qui sont plus beaux, plus performants, plus utiles et quasiment du même prix. De plus, ils possèdent déjà un “book store” en ligne et des logiciels de lecture très performants. Concernant les ouvrages numériques, par contre, je crois qu’ils ont beaucoup d’avenir. Je ne pense pas qu’ils détrôneront le livre papier avant très très longtemps, mais je parie qu’ils trouveront un public régulier et peut-être assez important. S’il est une opportunité évidente, le concept reste néanmoins un danger pour les auteurs et les éditeurs professionnels. Outre le piratage, ce serait très mauvais pour eux si les “auteurs du dimanche”, qui ont plus facilement accès à la publication numérique qu’au talent, se mettaient à publier massivement sur ce support. Si les librairies en ligne devenaient un MySpace des auteurs, ce serait très dangereux pour les écrivains reconnus, car le surnombre ne permettrait plus de distinguer le bon grain de l’ivraie.

Quels sont tes premiers coups de cœur et/ou recommandations de la rentrée littéraire 2010 ?
A l’heure où j’écris, je n‘ai reçu qu’une cinquantaine de livres, donc je me garderai bien de faire un jugement trop définitif. Je suis actuellement plongé dans le “CosmoZ” de Claro qui est, sans exagérer, l’un des meilleurs romans français que j’ai lu depuis plusieurs années. C’est un livre à la fois merveilleux et terrible, plein d’imagination et de richesse d’écriture. Mais hélas pas forcément accessible à tous les publics, car l’originalité de son concept peut en rebuter certains. J’ai également beaucoup aimé “Nevrospiral”, un premier roman très moderne signé Patrick Olivier Meyer (Calmann-Levy). Je suis toujours très attentif aux premiers romans qui paraissent aux rentrées littéraires, car c’est là que l’on découvre souvent les talents de demain.

Merci Christophe du temps accordé !

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2 Commentaires

  1. Honnête et n’essaye pas de se la jouer. Rare.

    • laurence.biava sur 25 juillet 2010 à 13 h 10 min
    • Répondre

    J’adore ce segment "dans la bibliothèque des blogueurs", c’est hyper réussi, et surtout très instructif. Belle curiosité de l’autre. Belle altérité.

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