Romans graphiques

Loin des super-héros et des extra-terrestres, une bande-dessinée intimiste, autobiographique ou de satire sociale francophone, japonaise ou anglo-américaine...

« Joséphine » de P. Bagieu, « Seule en solo » d’Oxolaterre/S.Zuber, « Moi, je » A. Picault, « Péchés mignons » de M.Mazaurette/A. de Pins : les Bridget Jones version BD

Pas évident de s’attaquer au sujet ultra-rebattu de la célibataire trentenaire après le phénomène Bridget Jones (et ses épigones). Le thème est épuisé serait-on tenté de penser après les innombrables variations tant littéraires qu’audiovisuelles.

Et pourtant trois jeunes auteurs n’ont pas hésité à s’approprier cette désormais figure classique. Originalité c’est en version BD qu’elle se réinvente avec plus ou moins d’humour et de singularité. La célibattante, un sujet inépuisable ? (à noter également la sortie d’un nouvel opus d’Aurélia Aurita : « Je ne verrai pas Okinawa »)

« Fraise et chocolat 2 » d’Aurélia Aurita, un tome 2 au goût sucré-salé… (+ Interview d’Aurélia Aurita)

Après le succès de « Fraise et chocolat« , son roman graphique érotico-nippon d’initiation amoureuse, vendu à plus de 20.000 ouvrages, la jeune Aurélia Aurita désormais âgée de 27 ans nous offre la suite de ses aventures. Son appétit et sa curiosité érotiques n’ont rien perdu de leur énergie ni de leur charme même si ses pages font aussi la place à des sujets plus graves sur son identité métissée de « française aux yeux bridés », des ennuis de santé de son amour ou encore ses doutes sur sa fidélité et son engagement… Si l’ensemble peut laisser une impression moins enthousiaste que son précédent opus (qui présentait l’avantage de la nouveauté), le charme continue d’opérer car l’auteur possède une qualité supérieure à toutes les autres : sa fragilité touchante même (et cela relève de l’exploit) dans les scènes les plus crues !

L’apprenti japonais de Frédéric Boilet, Carnet de voyage sensible et intimiste sur le Tokyo moderne

On a souvent cité son nom l’an passé car il a été le héros involontaire d’un petit roman graphique sulfureux ayant fait grand bruit l’été dernier. Frédéric Boilet avait en effet inspiré cet amant au « joujou extra » de l’insatiable et délicieuse Aurélia Aurita dans son controversé « Fraise et chocolat ». Mais il est aussi avant tout un talentueux dessinateur et scénariste, seul français (originaire d’Epinal) pouvant prétendre au titre de « mangaka », installé depuis 1994 au Japon, suite à l’obtention d’une bourse. En 2006, âgé de 46 ans, il décide de revenir sur sa découverte riche en surprises et coups de coeur pour son pays d’adoption. Et nous fait partager sa passion pour ce peuple étonnant et ses charmantes habitantes… L’apprenti-japonais retrace donc comme son nom (inspiré de la jolie formule de Dominique Noguez) l’indique douze années « d’apprentissage » au pays des tatamis et de Murakami. Un carnet de voyage vu de l’intérieur, léger mais non superficiel, loin des idées préconçues et des sentiers balisés touristiques… Passionnant et très attachant :

Retour au collège de Riad Sattouf, Bienvenue dans l’âge ingrat !

Avec Retour au collège, Riad Sattouf nous entraîne dans un retour en arrière, à l’époque « bénie » -plutôt maudite pour lui !- du collège… Ah, le collège, les premiers émois, les premiers « râteaux », sa cohorte de hontes et de complexes, l’ébullition des hormones (et des pustules !), les mecs lourdingues et autres joyeusetés de l’âge ingrat que beaucoup rêvent d’oublier…

Les pauvres aventures de Jérémie: « Le pays de la soif » (tome 2) et « Le rêve de Jérémie » tome 3, de Riad Sattouf

Après le succès de son album « Les jolis pieds de Florence« , Riad Sattouf donne une suite aux aventures de son héros Jérémie afin de constituer une trilogie qu’il résume ainsi : « Dans le premier c’était la découverte sentimentale, dans le deuxième la frustration sexuelle, et le troisième éclaire les deux autres, avec une coloration bien différente. » Une sorte de série d’apprentissage amoureuse moderne en somme où le pré-trentenaire et ses amis vont expérimenter déceptions et petits bonheurs au gré de leurs rencontres et de l’évolution de leur caractère respectif, toujours sur le mode de l’humour ironique. Paru en 2004 « Le pays de la soif » retrace les vacances estivales fortes en rebondissements de Jérémy et de sa bande dans un camping breton tandis que « Le rêve de Jérémie », publié en 2005, amorce un nouveau tournant et l’âge de la maturité… Un peu décevants…

« Les jolis pieds de Florence » de Riad Sattouf, Le complexe du trentenaire amoureux (et frustré)

Révélé par cet album « Les jolis pieds de Florence » prix Goscinny en 2003, 1e tome de sa trilogie « Les pauvres aventures de Jérémie », le dessinateur Riad Sattouf alors âgé de 25 ans, excorcise dans cette série ses anciens complexes d’adolescent mal dans sa peau, couvert d’acné et aux cheveux gras… Et s’installera ainsi auprès des grands noms de ce que l’on appelle la « nouvelle BD » : Larcenet, Mardon ou Trondheim… Dans une veine très « trentenaire », il raconte avec humour les galères et frustrations de Jérémie, son alter-ego dessiné maladroit et nunuche, qui tente de trouver l’amour et surtout d’assouvir sa misère sexuelle. Entre Houellebecq, Wolinski et Monsieur Jean (dans une version moins bourgeoise), il livre ici une petite histoire légère sur les déboires de la séduction moderne, sans prétention, qui se lit néanmoins avec plaisir et reste très prometteur quant à la suite des mésaventures…

« Strip-tease » de Joe Matt, Portrait de l’artiste en jeune trentenaire looser…

Si vous ne connaissez pas encore « Strip-tease » de Joe Matt, cet auteur-dessinateur québecois, chef de file de la nouvelle BD intimiste canadienne aux côtés de Seth (qui signe d’ailleurs sa post-face) et Chester Brown et que vous affectionnez les anti-héros, virtuoses de la loose et du pathétisme quotidien, alors jetez-vous sur ce roman graphique! Comme son nom l’indique l’auteur, alors fraîchement sorti des Beaux-Arts et coloriste sur la série Grendel de Matt Wagner, s’y met à nu (et en scène), avec une force d’autodérision jubilatoire.

Monsieur Jean -Dupuy-Berbérian : « Vivons heureux sans en avoir l’air » (tome 4)

Dans ce quatrième tome, publié en 1998, « Monsieur Jean » emprunte doucement la voie de la maturité, des responsabilités et des choix à travers les décisions qu’il faut prendre. Il amorce doucement la fin des flottements et de l’esquive (à notre petit regret…).

Monsieur Jean tome 1 « L’amour, la concierge » et tome 2 « Les nuits les plus blanches » de Dupuy-Berbérian

Premier album mythique, ce tome 1 des aventures urbaines de Monsieur Jean, consacre la naissance du personnage alors jeune pré-trentenaire (âgé de 28 ans), insouciant et hédoniste à souhait et se laissant porter par son quotidien tranquille émaillé d’anecdotes truculentes. Dans le deuxième tome, Monsieur Jean fête ses 30 ans et nous fait partager quelques dignes variations sur le thème du trentenaire célibataire qui a bien du mal à rompre avec son adolescence et à assumer ses responsabilités… en attendant de rencontrer l’amour.

« Elles » de Frédéric Boilet : L’homme qui aimait (et dessinait !) les femmes

Frédéric Boilet, dessinateur français exilé au Japon depuis est l’un des rares passeurs entre les deux cultures d’Orient et d’Occident. On lui doit en France la découverte de mangakas tels que Taniguchi, Tsuge ou Takahama. Il est aussi l’un des rares français à pouvoir prétendre au titre de mangaka et à avoir exploré parmi les premiers les contre-allées de l’autobiographie. Pionnier du travail sur l’intime, il poursuit son oeuvre libre-libertine, ludique et légère, dans laquelle sa quête de l’éternel féminin reste primordiale. Dans un « manifeste de la Nouvelle Manga » il insistait d’ailleurs sur le féminin de « la » manga qui pour lui est la véritable traduction, par opposition « au » manga, terme masculin qui évoque chez nous des BD violentes ou pornographiques pour adolescents. Dans « L’apprenti japonais » (titre de l’un de ses célèbres albums où il retraçait 12 années de sa vie au Japon) il affirmait déjà : « Les Japonaises sont formidables et si ça ne tenait qu’à moi, je ne parlerais que d’elles dans ces chroniques». C’est chose faite avec « Elles « , un recueil de nouvelles graphiques inédites, réalisées entre 1997 et 2003. Après « Love Hotel » ou « 36 15 Alexia » qui effeuillaient déjà les « Geishas » modernes, il décrit en neuf histoires, neuf rencontres avec autant de jeunes japonaises modernes, timides, taquines ou impétueuses…, prétextes à une série de variations sur la féminité japonaise et les rencontres amoureuses à Tokyo.

Monsieur Jean de Dupuy-Berbérian: « Les femmes et les enfants d’abord » (tome 3)

Après avoir passé difficilement le cap des 30 ans dans l’album précédent où la quête de l’amour lui donnait des nuits blanches, ce troisième album constitue un album charnière dans la « saga » Monsieur Jean. Il marque en effet la fin du célibat de notre héros avec la rencontre de son âme sœur. Il aura enfin une réponse (et « quelqu’un à présenter » à donner à ses parents qui lui posent la question rituelle à chaque déjeuner familial s’il a « rencontré quelqu’un ». Mais comme on pourrait s’en douter les choses ne sont pas si simples. Entre problème de logement, femme libérée, voisin suicidaire, jalousie d’un ex un peu nerveux et le souvenir douloureux d’un amour de jeunesse…

« Lucille » de Ludovic Debeurme, fresque poético-freudienne sur le mal-être et les amours adolescents (Prix Goscinny 2006)

« Lucille » de Ludovic Debeurme, un roman/pavé graphique de 500 pages (qui filent entre les doigts sans même y penser). Une, ébouissante histoire d’amour entre une adolescente anorexique, Lucille et un fils de pêcheur condamné à un destin qu’il refuse. Deux adolescents enfermés dans leur « non-vie », incompris, mal aimés, isolés, dont la rencontre les révèlera à eux même et insufflera un nouvel élan à leur existence.

Le roi des mouches : une BD sexe, drogue et rock’n’roll

« Le roi des mouches » (2005) du duo Mezzo et Pirus, album sélectionné pour le Festival d’Angoulême 2006 pour le prix du meilleur scénario porte un regard désenchanté sur la jeunesse désoeuvrée dans une vie moderne qui manque définitivement de goût… Deux ovnis dans le paysage de la BD franco-belge, aux influences très américaines et sixties. Pas si éloigné d’un Bret Easton Ellis…

Les bobos vus par Dupuy et Berbérian dans Télérama

Bonne surprise dans le Télérama de cette semaine (29/07 au 04/08), Dupuy et Berbérian, les deux créateurs du trentenaire le plus attachant de la nouvelle bande-dessinée, Monsieur Jean, offrent des planches inédites et hilarantes ayant pour thème : les bobos et le boboland !
Cette carte blanche est l’occasion pour les deux dessinateurs-scénaristes de tourner en dérision leur étiquette « d’auteurs pour bobo ».
Ces chroniqueurs pointus et satiristes habiles, formant un binôme créatif depuis 1984, ont croqué avec l’art du détail qui tue, quelques scènes urbaines typiques du boboland parisien.

« Fraise et Chocolat » d’Aurélia Aurita, l’hyperjouissance en toute innocence…

« Fraise et Chocolat » d’Aurélia Aurita (un pseudonyme inspiré du nom latin d’une méduse), son très controversé second album, est sans aucun doute un « phénomène » dans le petit monde de la BD d’auteur indépendante. Pourtant si l’on essaie un instant de lire ce livre, sans se préoccuper des vagues médiatiques qu’il a suscité, ni de sa dimension « people » (l’amant de l’héros n’est autre que le dessinateur Frédéric Boilet), on passe tout simplement un bon moment où les sens s’éveillent délicieusement au gré des fantaisies de l’épicurienne et intrépide Aurélia, jouisseuse décomplexée s’il en est… Elle ne revendique au fond rien d’autre que cela : le plaisir à l’état pur, voire primaire.

« Clumsy » de Jeffrey Brown: Découverte amoureuse tendre et maladroite…

« Clumsy » de Jeffrey Brown (en français : malhabile, maladroit) a été acclamé par la critique, les fans de BD indépendante mais aussi les maîtres du genre tels que Chris Ware, James Kochalka ou Daniel Clowes… Pourtant l’ouvrage, fort original, a de quoi dérouter par son réalisme minimaliste naturaliste mais toujours pudique de la relation amoureuse à distance d’un jeune couple américain. Écrit à l’âge de 25 ans par Jeffrey Brown, cet album autobiographique, dans la veine d’un « I never liked you » (Je ne t’ai jamais aimé ») de Chester Brown, a d’abord été autopublié avant d’attirer l’attention d’un éditeur face à l’engouement des lecteurs.

« Mon bel amour » de Frédéric Poincelet : Variations graphiques sur l’intimité des couples

Tout le monde en parle (et chante ses louanges)… Des « Inrocks » au journal « Le Monde » en passant par Télérama, « Chronicart », « A nous Paris » et presque tous les magazines spécialisés de la BD… De qui ? De Frédéric Poincelet pardi ! Et de son dernier album « Mon bel amour ». Révélant ainsi cet auteur, plébiscité depuis de nombreuses années par la scène graphique underground, au grand public. Ce graphiste-illustrateur, connu pour ses esquisses à la fois nerveuses et angoissantes, tour à tour crues ou poétiques et ses dessins hachurés, annotés ou ultraréalistes (voir sa série « Le périodique » et surtout son Essai sur le sentimentalisme), a beaucoup travaillé autour des thèmes qui l’obsèdent : le sacrifice, la douleur, l’amour ou encore les apparences. Avec « Mon bel amour », il livre une étonnante radioscopie de la fragilité du couple, toute en délicatesse et subtilité…

Slow news Day d’Andy Watson : comédie romantique au charme désinvolte

Slow news Day (littéralement « Journée calme sans actualité majeure ») fait partie des bonnes surprises de la rentrée BD 2005. Dans la droite lignée du roman graphique intimiste (voir notre entretien avec son éditeur Serge Ewenczyk des éditions « Cà et là »), il se déguste comme une bonne comédie romantique à la Hugh Grant mâtinée de David Lodge. Son auteur Andy Watson, ancien du jeu vidéo, est un spécialiste du genre, plusieurs fois nominé aux prestgieux Eisner Awards. Il est réputé pour aborder avec finesse les relations hommes-femmes comme l’ont démontré ses précédents albums Dumped ou Breakfast After Noon (chez Casterman). Son univers de prédilection : des personnages un brin désabusés, fragiles derrières leurs abords assurés, des couples qui tournent en rond et s’ennuient dans des jobs précaires…

La bande-dessinée, nouveau terrain des jeunes écrivains ?

Depuis quelques temps, la bande dessinée semble être le nouveau terrain d’expression des jeunes auteurs qui viennent l’expérimenter le temps d’un ou deux albums entre deux romans, « comme une parenthèse ludique ». L’occasion aussi d’explorer les mécanismes scénaristiques en évitant la lourdeur d’un projet cinématographique. Sur des thèmes variés, parfois éloignés de leur registre habituel, ils livrent des créations originales plutôt tentantes :

« Lucie » de Véronique Grisseaux et Catherine Catel, la vie en pointillés d’une trentenaire parisienne toute en finesse

Héroïne inventée par le duo féminin Véronique Grisseaux et Catherine Catel en 2000, Lucie est souvent comparée à Monsieur Jean (du duo masculin Dupuy et Berbérian) et à Bridget Jones (qui est un référent un peu fourre-tout). Signes particuliers : une jeune femme trentenaire, citadine, partagée entre son désir d’indépendance, de réalisation professionnelle, ses émois amoureux changeants et sa maternité. Bref une héroïne de génération dans laquelle nombreuses se reconnaîtront. Sur un ton drôle et subtil, les deux dessinatrice et scénariste ont réussi une belle série féminine très appréciable en cas de coup de blues !