Rentrées littéraires

Publications de septembre et janvier

« Choir » d’Eric Chevillard : « Oh ! à défaut de transformer le monde, s’il nous était donné au moins d’en perdre la mémoire ! »

Depuis plus de 20 ans, après son entrée en littérature en 1987 avec « Mourir m’enrhume », Eric Chevillard, un des auteurs phares des éditions de Minuit, affilié au « nouveau Nouveau roman », se fait remarquer pour son inventivité langagière et narrative. Dans sa vingtaine de romans (« Démolir Nisard »…), il met en scène des univers loufoques tragicomiques où règnent joyeusement folie douce, humour par l’absurde, anecdotes décalées et divagation poétique… Entre Beckett et Michaux auxquels il est souvent comparé. Depuis 2007, il connaît aussi le succès sur Internet avec la publication quotidienne sur son blog L’autofictif de quelques aphorismes satiriques, incisifs ou ironiques sur l’actualité du moment et autres réflexions personnelles (qui ont fait l’objet d’une publication papier en 2009). Son roman « Choir » paru lors de la dernière rentrée littéraire de janvier 2010, qualifiée de « fable -cauchemardesque- hilarante » a reçu un accueil enthousiaste. Pourtant cette allégorie insulaire peut aussi rebuter…

Inspiration : muse ou tyran ? Joann Sfar, Véronique Ovaldé, Frédéric Beigbeder au salon du livre 2010

Comment l’inspiration vient-elle aux écrivains ? Ont-ils des rituels, « une discipline » pour la stimuler ou intervient-elle à tout moment sans crier gare ? Comment alors la saisir et écrire ? N’est-elle pas parfois une contrainte qui s’oppose à ses véritables envies ? Autant de questions pour enrayer la peur de la page blanche, première angoisse du romancier, auxquelles ont répondu Joann Sfar, Véronique Ovaldé, Frédéric Beigbeder, et Firouz Nadji-Ghazviniau cours du débat « Inspiration : muse ou tyran ? », le 28 mars dernier au Salon du livre :

« Un léger passage à vide » : Nicolas Rey, au plus bas, écrit-il un livre au plus haut ? (rentrée littéraire janvier 2010)

Avec « Un léger passage à vide », Nicolas Rey revient en librairie après 4 ans d’absence. En littérature, ce sont les fêlures, les douleurs, les parts sombres qui font souvent les plus beaux livres (voir article sur la honte comme essence de la littérature). Que Nicolas Rey ait choisi de reprendre la plume pour raconter « ses mauvaises passes et moments dingues » comme il l’écrit en 4e de couverture (particulièrement réussie au passage) était donc une bonne idée en soi.

« La délicatesse » de David Foenkinos: « Un baiser, s’il vous plaît » (chronique et interview)

Dans « La délicatesse » de David Foenkinos, on trouve ce genre de réplique, « Markus pensa : ‘ C’est le plus beau lavage de mains de ma vie.’ et c’est ce qui fait aimer ses livres. Ce mélange de naïveté et d’humour qui enchante. Il participe à cette surprise permanente sentie à chaque lecture, à cette tendresse éprouvée pour les personnages dès son premier roman. Dans son dernier livre, La délicatesse, encore en lice pour le prix Interallié, on retrouve cette vivacité dans l’écriture, ce côté décalé qui nous fait parfois penser à Boris Vian. On se pose la question suivante : mais où va-t-il chercher tout ça ?…

« Un roman français » de Frédéric Beigbeder : « Les mots » d’un existentialiste moderne /PRIX RENAUDOT 2009

« Un roman français » de Frédéric Beigbeder, son septième roman (parution le 18 août 2009, (sortie poche, rentrée 2010)) est un chef d’œuvre parce qu’il parvient à l’une des choses les plus difficiles dans l’existence: parvenir à s’abandonner. « Un roman français » est une leçon de vérité. C’est un livre saisissant. Bouleversant. Sobre. D’une immense sensibilité.

« Mauvaise fille » et « Rien de grave » de Justine Lévy : Itinéraire d’une enfant cabossée

Justine Lévy, fille de Bernard-Henri Lévy, a été révélée en 2004 au grand public par son désormais fameux deuxième roman « Rien de grave », cri de détresse d’une jeune-femme quittée par son mari, entre réminiscences, deuil de son amour de jeunesse, blessures familiales, fuite (artificielle…) et affrontement d’une réalité trop douloureuse… Salué par la critique et les lecteurs pour son écriture « inventive », « brute » et « émouvante », le buzz (vendu à 110 000 exemplaires en moins d’un mois, traduit en anglais et allemand) dont a bénéficié l’ouvrage provient à l’origine de sa source d’inspiration (Carla Bruni, rebaptisée Terminator dans le livre, avait alors fait main basse sur son ex-mari Raphaël Enthoven). En 2008, l’opus à peu près oublié, connaissait d’ailleurs un regain d’intérêt, rattrapé par l’actualité de la première dame de France. « Nous avons vendu autant d’exemplaires en un mois que durant toute l’ année 2007: c’est-à-dire 15 000 exemplaires », dit-on au Livre de Poche, qui a dû procéder à des réimpressions. Très attendu son nouveau et troisième roman « Mauvaise fille » -sélectionné pour le Goncourt- a d’ores et déjà emballé la critique. Même Yann Moix, rarement tendre, en faisait l’éloge dans sa chronique pour Le Figaro (« Un monstre à deux têtes ») : « Ce livre, semblable à aucun autre et qui s’insinue durablement dans les veines, ce livre où le cancer est assimilé à un enfant et où l’enfant fait figure de cancer, est un des plus profonds, un des plus beaux que j’ai lus depuis longtemps. »
La mère, personnage omniprésent dans son œuvre depuis son premier roman « Le Rendez-vous » est de nouveau au cœur de son texte. Une mère mourante tandis que sa fille « (re)naît » mère : tout un symbole, entre la vie et la mort, les doutes et la culpabilité, que l’auteur explore ici. Un récit sensible mais encombré de quelques maladresses et règlements de compte pesants… :

Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia

Avec ses 750 pages Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia raconte une époque, dans la veine du grand roman populaire. 1980, Michel Marini assiste aux funérailles grandioses d’un philosophe. Il se souvient de sa jeunesse: l’Algérie, l’URSS, l’homme dans l’espace, et lui à Paris, le nez dans les bouquins et la conscience politique …

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« A l’abri de rien » Olivier Adam: une femme dans la tourmente de l’immigration clandestine

Olivier Adam situe son roman de la rentrée littéraire 2009 A l’abri de rien aux abords de l’ancien centre d’accueil pour immigrés de Sangatte. En dépit d’une chronique sociale un peu larmoyante, A l’abri de rien est sauvé par un portrait réussi d’une héroïne cassavetienne.

Tirages de la rentrée littéraire : sur qui tablent les éditeurs ?

Plus mesurés que l’an passé, les éditeurs ont décidé de tirer cette année « seulement » dix livres à 50 000 exemplaires ou plus –contre quinze l’an dernier, selon les chiffres communiqués par Livres hebdo. Après les « flops » de Christine Angot ou encore de la correspondance de M.Houellebecq et BHL l’an passé, leurs prévisions coïncideront-elles avec le lectorat ?

« Le roman de l’été » de Nicolas Fargues, Les vacances du grand Nicolas (rentrée littéraire 2009)

Avec son 7ème roman, Nicolas Fargues revient scruter les tares de notre société contemporaine… sans complaisance ! Et livre un roman choral, engagé, politique, dense, consistant et abouti. Il scanne notre époque avec lucidité, notamment nos modes de fonctionnement sur l’apparence, le langage, les non-dits- jusqu’à notre évolution sociétale globale. C’est un roman incisif qui dit tout en ne mâchant pas ses mots, jusqu’à en devenir cruel l’air de rien, comme sait si bien le faire l’auteur. Une satire, une comédie de mœurs subtile et bien menée… qui soulève bien des réflexions :

« La chaussure sur le toit » de Vincent Delecroix (sortie poche): Chacun cherche sa chaussure…

J’ai découvert Vincent Delecroix grâce à ma curiosité pour Sören Kierkegaard. Publiant depuis 2003 avec son « Retour à Bruxelles », un récit lyrique, Vincent Delecroix, philosophe de formation (et collaborateur de la revue Décapages où il raconte avec humour la vie des philosophes), ne cesse en effet d’écrire dans le compagnonnage du célèbre philosophe danois du XIXe siècle. Moins dans son ombre, cependant, que dans l’imitation d’une philosophie qui existe plus efficacement dans un style littéraire et dont il nous parle, d’ailleurs, avec clarté, dans « Singulière philosophie : essai sur Kierkegaard ». Avec ce dernier il partage des thèmes de prédilection que sont l’amour, Dieu, mais surtout l’irréductible solitude, cette solitude d’autant plus éprouvée qu’on prend conscience de notre existence qui se forme, devient singulière (ou « idiote », au sens grec du terme : qui est particulière)… Que cela soit dans ses monologues de « La preuve de l’existence de Dieu » (2004), dans ses romans « A la porte » (2004) – mis en scène par Marcel Bluwal, dans une pièce jouée par Michel Aumont, en 2008 -, ou « Ce qui est perdu » (2006). Et évidemment dans « La chaussure sur le toit », un roman choral et « topographique », passant du délire philosophique à la complainte élégiaque, poétique jusqu’à la satire de mœurs… Publié et très remarqué (même s’il a pu dérouter) lors de la rentrée littéraire de septembre 2007, cette oeuvre singulière vient d’être rééditée en poche…

La Solitude des nombres premiers de Paolo Giordano: « Ces nombres auraient peut être préféré être comme les autres, juste des nombres quelconques, et qu’ils n’en étaient pas capable. »

Premier roman du turinois Paolo Giordano (écrit à l’âge de 26 ans, tout en préparant un doctorat en physique théorique), La Solitude des nombres premiers (en italien: La solitudine dei numeri primi), best seller en Italie -vendu à plus d’un million d’exemplaires- et lauréat du prestigieux prix Strega, est un anti-conte de fée, placé sous …

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« Impardonnables » : Phlippe Djian s’essaie au roman de rédemption et revisite le polar

Impardonnables de Philippe Djian est un roman aux ciels blêmes, où les personnages se ratent, ne se comprennent pas en fin de compte. Indifférents comme des fantômes, ils dessinent les uns et les autres une mélancolie qui est plus proche de la rage que de la tristesse.

« Des vents contraires » : Olivier Adam face à la tempête de quelques critiques

Avec « Des vents contraires », Olivier Adam a été sans conteste l’auteur phare de cette rentrée littéraire de janvier 2009, l’histoire d’un père dont la femme a disparu et qui tente de reconstruire sa vie et celle de ses deux enfants en emménageant à Saint-Malo. Fidèle à ses grands thèmes littéraires (la perte -brutale- d’un être cher, le poids de l’absence, du secret, des non-dits, la famille, la violence sourde de la société, une certaine mélancolie douce-amère, des êtres fragiles et l’ode aux terres maritimes de Bretagne), il explore ici plus particulièrement la question de la paternité.

« Seul dans le noir » : Paul Auster régle ses comptes avec l’Amérique de Bush… mais perd son lecteur

La critique salue, assez unanimement, le retour de Paul Auster avec « Seul dans le noir » son nouveau et quatorzième roman, non sans raison. Certains sont réjouis, d’autres moins. Je fais partie de ceux qui sont à classer dans la seconde catégorie. J’ai trouvé ce livre intéressant mais aussi ennuyeux et plein de poncifs poussifs…

Le dernier monde de Céline Minard

Dans « Le dernier monde », sur le thème rebattu du dernier homme, Céline Minard décrit un périple halluciné et hallucinant de talent. Dernier survivant sur Terre à la suite d’une catastrophe inexpliquée, un astronaute s’invente pour survivre une galerie de personnages imaginaires. Bonne nouvelle : la relève de l’anticipation sociale est assurée par une romancière française…

« Chômeurs academy » de Joachim Zelter : Le meilleur des mondes… sans chômeurs (ces horribles bestioles !)

Non ce n’est pas le nouveau programme lancé par TF1 et ici on ne formate pas de futures stars des charts mais l’on « redresse » du chômeur en bonne et due forme (toute ressemblance avec des faits existants…) ! Le chômeur, cet horrible parasite, qu’il faut à tout prix éradiquer de nos sociétés capitalistes. C’est en tout cas l’objectif de Sphericon, ce centre de formation au service des « jobs centers » (l’équivalent de nos ANPE) dans cette ville futuriste en 2016 qu’a imaginé l’allemand Joachim Zelter. Péchant un peu par son manichéisme et sa caricature, l’auteur perclu de cynisme libéral n’en trace pas moins un portrait au vitriol de nos sociétés obsédées par la performance, la « valeur travail » et le formatage des individus jusqu’au vertige existentiel. Un récit d’anticipation glacial qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher de 1984 pour le « novlangue » corporate créé par ses dirigeants ou encore du Meilleur des mondes pour l’eugénisme social. Extraits choisis :

Nouvelle édition poche d' »American Darling » de Russell Banks, La pastorale américaine… out of Africa (+ extraits)

Depuis plus de trente ans, en une quinzaine d’ouvrages, romans et recueils de nouvelles – Affliction, Continents à la dérive, De beaux lendemains, Trailerpark, Sous le règne de Bone…–, Russell Banks, fils de prolo devenu plombier avant d’embrasser son destin littéraire, s’est imposé parmi les grandes voix des lettres américaines contemporaines. Dans le sillage d’un Faulkner, d’un London, d’un Dos Passos ou d’un Steinbeck (ses références qu’il aime à citer), il s’est affirmé comme le story-teller de l’envers du rêve américain, des laissés-pour-compte et l’observateur pessimiste de la faillite idéologique de son pays. Son œuvre romanesque dénonce la décomposition des familles, les inégalités ou encore l’oppression sociales. Dans son quatorzième ouvrage traduit en France, « American Darling », il s’empare d’un pan de l’histoire américaine – la fin des années 60 – et s’achève un certain 11 septembre 2001…
Son roman « le plus politique » et revendiqué comme tel par l’écrivain dit engagé (et militant politique par ailleurs), qui assigne à la littérature un rôle de « mémoire ». Après un grand succès aux éditions Acte Sud (également publié chez Babel), il vient de sortir en poche chez J’ai lu dans la collection « Par ailleurs » tandis que Martin Scorsese devrait en sortir une adaptation ciné d’ici la fin 2009…

« La Meilleure Part des Hommes » de Tristan Garcia: dans la violence des années 80 dans l’ombre du sida

Chronique des années quatre-vingt, conte moral désenchanté et réflexion sur le Sida, La Meilleure Part des Hommes, premier roman cru et cruel du jeune Tristan Garcia, fait l’un des événement de la rentrée littéraire de septembre 2008, entre louanges et réserves quant au style « déconstruit » de l’auteur:

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Pourquoi tout n’est pas à jeter dans « Le Marché des Amants » de Christine Angot ?

Au fil des rentrées littéraires, Christine Angot, encensée en 1999 pour son roman « L’inceste », est chaque fois plus durement attaquée, souvent davantage sur sa personne que sur son œuvre du reste… Bouc émissaire favori et cible de railleries et autres pastiches, le Prix de Flore 2006 n’aura certes encore pas livré un chef d’œuvre en cette rentrée 2008 voire même un livre raté, insipide, irritant… Et pourtant en brassant des thèmes finalement assez ambitieux et universels, reste tout de même « quelque chose ». Ces quelque chose qui font qu’on ne peut s’empêcher d’être touché malgré tout…