Rentrées littéraires

Publications de septembre et janvier

« Asiles de fous » de Régis Jauffret en poche : Toutes les familles sont psychotiques

Prix Femina 2005, le roman « Asile de fous » de Régis Jauffret vient de sortir en poche aux éditions Folio. L’occasion de se (re)plonger dans cette histoire de rupture de trentenaires qui oscille entre l’hystérie et le désespoir fou d’une femme lâchement abandonnée par son compagnon, confrontée brutalement à une solitude insupportable. De ce point de départ dramatique, Régis Jauffret, en roi du trompe-l’oeil, basculera soudainement, contre toute attente, dans la farce noire et satirique avec l’arrivée du beau père puis de son épouse qui porteront à leur paroxysme ce cirque du malheur et de la lâcheté ordinaires, en s’abritant derrière un réquisitoire sans pitié et injuste contre leur ex belle-fille. Douglas Coupland disait « toutes les familles sont psychotiques », Jauffret déclare qu’elles sont des « asiles de fous »… Une attaque au vitriol contre la famille d’aujourd’hui, berceau des névroses quotidiennes…

Microfictions de Régis Jauffret, Descente impitoyable dans la fourmilière humaine

Le plus obsessionnel de nos grands écrivains nationaux est de retour en cette rentrée littéraire de janvier. Après son Asile de fous (prix Femina 2005), il nous plonge une nouvelle fois au coeur des névroses et psychoses familiales, amoureuses, relationnelles ou professionnelles. Au coeur des microcosmes sociaux et de leur folie confinée.
Fidèle à son matériau d’inspiration préféré : l’humain, à dominante féminine parce que ce sont « les plus complexes » et… « les seules capables de pousser au suicide » (!) confiait-il dans une interview. Il livre en cinq cents polaroïds à la précision chirurgicale, tour à tour étranges, grotesques ou cruels, de nouveaux micro-« fragments de la vie des gens » (un de ses précédents opus à (re-)découvrir aussi par la même occasion). Avec un regard toujours aussi acéré, il explore ces existences qui sentent le renfermé, la mesquinerie ou encore le désespoir de vivre. Une sorte de petite encyclopédie « maniaque » (que Jauffret s’amuse même à classer par ordre alphabêtique) sur la face sombre de la nature humaine, à déguster par petite gorgée (avec un peu de vodka entre chaque rasade)…

Le serrurier volant de Tonino Benacquista et Jacques Tardi, Enigme à double clé

Il est désormais très « tendance » pour les écrivains de partager leur plume avec celle d’un dessinateur. Des collaborations qui donnent naissance à des œuvres graphico-littéraires combinant la narration texte de type romanesque et la narration graphique (dessin, photographie, collage, gravure…), les rendant solidaires, l’un de l’autre. Après Philippe Jaenada avec le duo Dupuy-Berbérian (Les brutes), bientôt Virginie Despentes avec Dame Darcy ou encore les duos sur des BD plus classiques de Frédéric Beigbeder à David Foenkinos, Tonino Benacquista, l’auteur de Les morsures de l’aube ou de l’excellent Saga…, se lance lui aussi dans l’aventure avec le dessinateur et scénariste Jacques Tardi (Rumeurs sur le Rouergue, la série « Adèle Blanc-Sec » et auteur de nombreuses adaptations…). L’une de ses nouvelles « La boîte noire » avait déjà été transposée en BD mais sans son concours. Il signe ici une histoire inédite et originale, fidèle à son univers à la fois noir, humoristique et émouvant, où les mystères (et les conflits) de la psychée et le poids du passé affleurent à la première occasion…

« Nous sommes cruels » de Camille de Peretti, Manipulations amoureuses plus Lolita Pille que Laclos…

Vous devriez entendre beaucoup parler de cette jeune auteure de 26 ans (née en 1980) qui a déjà fait couler beaucoup d’encre pour son premier roman Thornytorinx (récemment ré-édité en poche chez Pocket et prix du premier roman de Chambéry 2005) où elle décrivait l’horreur de la boulimie dont elle a souffert. Avec son deuxième roman, elle s’affranchit de l’autobiographie pure (même si elle s’inspire tout de même de sa propre adolescence) et revisite « Les liaisons dangereuses » de Laclos pour livrer un récit épistolaire moderne (à base d’e-mails et de textos) où une jeunesse dorée, orgueilleuse et cynique, fascinée par les libertins du XVIIIe, rejouera, à sa façon, les défis romantiques et cruels de Madame de Merteuil et de Valmont.

Les filles sont bêtes, les garçons sont idiots de Vincent Ravalec : Les lois de l’attraction vues par un pré-ado de 12 ans

Vincent Ravalec retombe en ado(adu)lescence et se souvient de ses années -difficiles- de boutonneux pré-pubère où le mystère féminin commence à devenir obsédant. Pour la deuxième fois (après « Ma fille a 14 ans » publié en 2005 chez Librio), l’auteur de Cantique de la racaille et d’Un pur moment de rock’n roll, revient donc sur cet âge de trouble où l’on se pose beaucoup de questions sur l’Autre. Dans la peau d’Arthur 12 ans, il livre un petit roman destiné aux ados mais qui ravira aussi les lecteurs assidus de l’auteur de façon plus générale, qui retrace son enquête délicate pour élucider l’énigme des différences entre les sexes et les lois de l’attraction…

« En panne de spirituel » (Doukhless) par Sergueï Minaev, le nouveau Beigbeder russe

Paru au printemps dernier et vendu en quatre mois à plus de 200.000 exemplaires, Doukhless (mélange de russe et d’anglais) signifiant « En panne de spirituel » ou « Un homme sans substance » en français, est le roman best-seller de Sergueï Minaev (photo ci-dessous), un trentenaire moscovite jusqu’alors inconnu, qui livre ici une satire de la nouvelle caste de cadres supérieurs russes, à l’heure du capitalisme : snobs, camés et passablement dépressifs… A travers ce portrait au vitriol, dédié à la génération des années 70, il dénonce la perte de valeurs et de repères dans le chaos économique de la Russie post-soviétique. Ca vous rappelle quelque chose ?

Marge brute de Laurent Quintreau : Plongée intérieure dans l’enfer des comités de direction

Cru de cette rentrée littéraire 2006, ce « roman de bureau » rédigé par Laurent Quintreau qui se présente spontanément comme « cadre et syndiqué », (plus précisément créatif chez Publicis : tiens encore un publicitaire !) et fondateur de la revue d’avant-garde Perpendiculaire, nous plonge dans une comédie humaine corrosive, celle des fameuses réunions dont les entreprises raffolent. Et plus particulièrement le comité de direction d’une multinationale publicitaire. Haut lieu des réglements de compte, des hypocrisies et autres stratégies du pouvoir, elle s’avère, dans ce récit, un passionnant révélateur de personnalités à travers les monologues intérieurs de 11 cadres.

Rentrée littéraire – Interview vidéo de Florian Zeller sur son roman Julien Parme

Florian Zeller s’exprime dans une interview vidéo sur ses sources d’inspiration, les scènes fortes de son roman dont il explique la genèse…

Rentrée littéraire : les coups de coeur et les coups de griffe de la rédaction de Lire

Une interview intéressante de François Busnel, rédacteur en chef du magazine « Lire » permet de découvrir ses enthousiasmes et ses déceptions de la rentrée littéraire 2006. Il livre aussi ses impressions sur la littérature américaine toujours aussi énergique et créative…

« Réussir sa vie » de Bruno Gibert : Anti-manuel de réussite sociale

Avec son titre en forme de best-seller de gourou en développement personnel américain (et de clin d’oeil au titre-et bide- chanté par Bernard Tapie dans les années 80 ?), ce drôle de roman cache bien son jeu. « Choose a life. Choose a job. Choose a career. Choose a family. Choose a fucking big television, choose washing, machines, cars, compact disk players… » Cette tirade culte du non moins culte « Trainspotting » (photo ci-contre) pourrait résumer en quelque sorte le leitmotive en filigrane de ses pages. Des questions pour une génération en manque de repères, de stabilité ou de confiance en l’avenir… C’est justement à cette génération que choisit de donner la parole Bruno Gibert en cette rentrée littéraire :

Rentrée littéraire (2), la jeune garde américaine au rendez-vous : Du jeune talent Kunkel acclamé par Jay Mc Inerney à Safran Foer jusqu’à Palahniuk plus féroce que jamais !

Les jeunes auteurs américains ne sont pas en reste en cette rentrée littéraire. Au rayon « nouveau talent acclamé », Benjamin Kunkel auteur « d’Indécision « , est déjà un auteur culte et phénomène littéraire Outre Atlantique, plébiscité à la fois par Jay McInerney et Joyce Carol Oates.
Il serait selon les critiques un digne successeur de Douglas Coupland et de son roman Génération X. Il retrace la vie de Dwight B. Wilderming, 28 ans, atteint d’indécision chronique. Adolescent attardé, il mène une existence sans but, partagée entre ses colocataires, ses parents divorcés, sa soeur qui lui sert de psychanalyste et une petite amie à mi-temps.

Rentrée littéraire (3) : La télévision, filon (et bouc émissaire) inépuisable des jeunes auteurs ? De Rick Moody à Chloé Delaume ou Grégoire Hervier…

La télé c’est moche, c’est pas bien. Abrutissement hypnotique, programmes bêtifiants ou immoraux, bourrage de crâne, miroir aux alouettes, surenchère du trash et du kitsh… : elle s’attire régulièrement les foudres des écrivains qui s’égosillent à qui mieux mieux pour en dénoncer les « dérives » et les « dangers » et la diaboliser. Après Lolita Pille qui venait s’indigner sur tous les plateaux TV, lors de la sortie de Bubble gum de la « gravité » de la Star Academy ou encore Amélie Nothomb qui imaginait dans Acide Sulfurique un jeu de téléréalité extrême version camp de concentration, la rentrée littéraire accueille à nouveau son lot de satires de la télévision et critiques (originales ?) de la société du spectacle… Mais est-il bien nécessaire de tirer sur une ambulance ?

« La pause » d’Ariel Kenig : Réduction du domaine de la lutte…

Après un premier roman remarqué en 2005 « Camping Atlantic » (sur l’ennui violent de l’adolescence et la force de la fraternité), Ariel Kenig, jeune auteur de 23 ans, change de cap et met sa plume mordante au service d’une fiction sociale. Son sujet d’étude ? Un jeune homme qui dit « Non ». Un jeune homme qui refuse de se laisser happer davantage par la routine de sa banlieue, de ses rites obligés (les bandes, les regroupements au bas des HLM…) et surtout de céder à l’appel de « l’Usine au losange », celle où son père s’auto-détruit jour après jour physiquement et mentalement… Alors il choisit de ne plus franchir le seuil de sa porte d’entrée et de vivre enfermé, à l’écart. A l’abri. Un enfermement volontaire qui pourrait finalement représenter une nouvelle liberté ?

« L’homme qui marchait avec une balle dans la tête » de Philippe Pollet-Villard : le dernier protégé de Frédéric Beigbeder, éditeur

Avant de raccrocher sa casquette d’éditeur (et de faire son coming out dans le magazine « Lire »), Frédéric Beigbeder a eu le temps de commettre un dernier « coup », avec la publication du premier roman de Philippe Pollet-Villard, réalisateur de profession. « L’homme qui marchait avec une balle dans la tête », titre qui ne peut qu’aiguiser la curiosité dans la même veine de celui de Bernie Bonvoisin (« Chaque homme a la capacité d’être un bourreau… ou au moins son complice« ), relate la cavale poético-comique d’un « petit voyou » qui cherche un souffle et un sens au monde qui l’entoure. Ce sera étrangement ce plomb (qu’il ne pètera finalement pas), logé dans sa tête qui lui fera aborder la vie sous un nouveau jour… Un petit résumé de cet ovni littéraire, bien frappé, de la rentrée. Entre gravité et cocasserie :

La rentrée littéraire de septembre 2006 en bref

Les tendances de la rentrée littéraire en bref * :
Cette rentrée littéraire atteint un nouveau record avec 683 titres (dont 475 fictions) publiés contre 663 en 2005. Après avoir été largement dénigrée, l’autofiction semble marquer le pas pour laisser place à l’actualité sociale comme grande source d’inspiration. La guerre, la violence, le chômage, la crise des banlieues… : l’environnement extérieur et le malaise social qui y régne disputent la vedette à l’ego. « Le syndicat des pauvres types » d’Eric Faye, ne manque pas d’aiguiser la curiosité par exemple. Mais également l’univers des paillettes et de la télévision. Deux romans français semblent déjà se détacher de la masse : « Fraternité » de Marc Weitzmann (Denoël) et « Quartier général du bruit » de Christophe Bataille (Grasset).

« Corpus Christine » de Max Monnehay : une jeune concurrente pour Amélie Nothomb livre un premier roman au parfum de soufre…

Nous évoquions dans notre billet de synthèse sur la rentrée littéraire de septembre 2006, la jeune auteure Max Monnehay, annoncée comme « la nouvelle Amélie Nothomb » par son éditeur Albin Michel qu’elle partage d’ailleurs avec sa célèbre aînée. Cette jeune auteure de 25 ans raconte dans « Corpus Christine » la domination sadique d’une femme sur son mari qu’elle séquestre et martyrise. « Le doute est un sale petit reptile, une simple morsure au doigt et c’est votre pauvre carcasse entière qui y passe », grince-t’elle au détour d’une page. Ce huis-clos oppressant, sur un sujet sombre, troublant et difficile rappelle en effet les thèmes « scabreux » autour de la folie humaine qu’affectionnent l’auteur d’Hygiène de l’assassin (et de « Journal d’hirondelle » en cette rentrée littéraire) et porte, de plus, un titre -alambiqué- très « nothombien »…
Christophe Greuet du site Culture-Café nous signalait son excellente critique sur ce livre.

Une Interview de Florian Zeller au sujet de son roman « Julien Parme » et sa pièce « Si tu mourais »

Pour les aficionados de Florian Zeller, signalons une interview approfondie de l’écrivain dans laquelle il s’explique sur l’écriture de « Julien Parme », son nouveau roman de la rentrée de septembre 2006. Il confie avoir souhaité parler de ce qui compose l’adolescence à savoir « le sentiment d’abandon, la solitude, l’ambition, la vanité, la gloire et la sensation d’avoir conquis une place à soi dans le monde, un des plus grands défis de la vie… » Il dit également qu’il s’est senti plus inspiré par John Fante que par Salinger dans son écriture, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Concernant sa pièce « Si tu mourais », il explique s’être intéressé au thème « de la transparence dans le sens où l’on exige des gens qu’ils disent tout, notamment dans une relation à deux. »

« Les bienveillantes » de Jonathan Littell : Le destin d’un monstre ordinaire au coeur de la mécanique nazie

Son nom est sur toutes les lèvres et fait bruisser tout le petit milieu littéraire depuis le printemps dernier : Jonhatan Littell, un romancier de nationalité américaine, d’à peine 40 ans et parfaitement bilingue en français, signe un colossal premier roman de 900 pages, « Les bienveillantes » (qui tire son nom de la mythologie grecque, les Erinyes, ou Euménides, ces déesses persécutrices, vengeresses, hideuses sont appelées par euphémisme, et par crainte « les bienveillantes »), qui devrait faire grand bruit en septembre. Une époustouflante fresque, de 1941 à 1944, archi-documentée, au coeur de l’administration nazie meurtrière et sa folie industrieuse, retraçant le destin de l’un de ses bourreaux. Pour une nouvelle fois essayer de comprendre ou du moins d’interpréter l’indicible…

L’Histoire de l’amour de Nicole Krauss: Jeu de piste identitaire intergénérationnel

A New-York, on les surnomme le « golden literary couple » : Nicole Krauss, 31 ans mariée au jeune prodige de 29 ans Jonathan Safran Foer auteur de « Tout est illuminé » (élu meilleur livre de l’année 2002 dans le supplément littéraire du Times et qui sortira à la rentrée son deuxième roman « Extrêmement fort et incroyablement près« ), voisins d’un autre « golden literary couple », à Brooklyn, « Les Auster » pour ne pas les nommer, s’apprête à sortir à la rentrée 2006 son premier roman traduit en France : « L’histoire de l’amour ». Auréolée de sa gloire new-yorkaise, assortie d’un contrat à 6 chiffres, et de droits d’adaptation déjà vendus à Warner Bros (la réalisation du film sera assurée par Alfonso Cuarón) et de traduction dans plus de 20 pays, saura-t-elle convaincre en France ?

Vallauris plage de Nicolas Rey : Liaisons dangeureuses sous le soleil de la Riviera…

Il a quel goût le nouveau Nicolas Rey ? Un goût moite, brûlant, un goût de perdition dangereuse, d’eau trouble salée et de sensualité. Pour son cinquième et très attendu roman « Vallauris plage », l’écrivain a tenu sa promesse : s’échapper de l’autofiction de trentenaires pour livrer un roman noir mêlant le sang aux passions destructrices… Pour autant, il ne décevra pas les fidèles de la première heure qui retrouveront avec plaisir son talent délicat et subtil pour décrire les bas-fonds du désir, les impasses sentimentales et la quête d’absolu…